Nadine Norman : Paroles, paroles… ou Lèche-vitrine
NADINE NORMAN est disponible. Et vous? Avec son dispositif présenté au Musée d’art contemporain, l’artiste canadienne, qui avait déjà émoustillé Paris avec son Call Girl, joue sur le détournement du désir par le système de consommation.
Ces jours-ci, au Musée d’art contemporain (MAC), avec Je suis disponible. Et vous?, Nadine Norman souligne comment le langage du désir a été vampirisé par nos systèmes mercantiles. Les images qui occupent les murs du Musée tiennent à la fois des affiches pour agences de rencontres, des sites pornos sur Internet, des revues pour jeunes adolescentes et des pubs de mode imprimées sur papier glacé. Dans les photos et vidéos exhibées, Norman joue, avec un faux abandon, différents rôles dans une multitude de poses. Pour reprendre une chanson bien connue, Norman semble y dire: "Je suis toutes les femmes." Elle y incarne à la fois le rôle de la dominatrice, de la salope, de la princesse, de la tigresse, de la lolita, de la muse… Un portrait très acide de l’artiste en "agace-pissette"? Qui ne livre pas la marchandise mais juste une ambiance sophistiquée et très envoûtante?
Voici une idée d’exposition bien séduisante… Mais arrive-t-elle à dépasser cette belle et très volatile sensation d’excitation propre à la séduction, ce premier élan du coeur où tout est encore possible car rien de précis ni de vraiment profond ne s’est donné?
Depuis quelques années, Nadine Norman flirte avec la notion de désir. Un portrait satirique de l’artiste en prostituée, excitant et apaisant nos sens. En 1999, avec Call Girl, présenté au Centre culturel canadien à Paris, elle créait un faux bordel où les filles ne s’offraient que par la parole. En 2001, déjà au MAC, avec Pierre, lèche ma vitre! (performance s’adressant entre autres au maire de l’époque, Pierre Bourque), elle nettoyait les fenêtres du bâtiment de la rue Sainte-Catherine avec une sensualité affectée telle qu’on en retrouve dans les lave-autos érotiques. Norman mettait en scène les jeux de séduction auxquels les artistes – en particulier ceux qui réalisent des oeuvres d’art ou interventions publiques – doivent parfois se soumettre pour plaire aux institutions moins familières avec les arts.
Dans sa nouvelle intervention au MAC, au centre de ce dispositif d’images, il y a une salle d’accueil digne d’un lounge ou d’un bar branchés, mais aussi d’un magasin nouveau genre où le commerçant souhaite que vous vous sentiez chez vous!! Les spectateurs y sont accueillis par des préposés presque aussi mielleux que ces vendeurs qui vous demandent si vous (et votre portefeuille) allez bien… Si vous le souhaitez, ils dresseront votre profil, qui sera étudié par une agence de marketing qui vous sélectionnera peut-être. Serez-vous élu? Serez-vous choisi parmi tous les candidats? Mais à quelle fin? Celle d’avoir le droit de passer un bon moment avec Nadine. Extraordinaire récompense, certes. Mais encore? L’artiste reste floue sur ce point…
Au-delà de cette rencontre, c’est bien sûr toute la structure de l’exclusion que tente de représenter Norman. L’amour est mystérieux dans son processus de choix. Norman pointe comment le monde occidental a copié cette structure pour une bonne partie de son fonctionnement. Il faudrait arriver à se faire aimer et à appartenir au bon réseau. La mode et les images de pub semblent à la fois nous permettre d’en faire partie tout en nous excluant tout le temps, à chaque nouvelle idée. Quête sans fin. Et qui vaut aussi pour les riches. Cet impératif de disponibilité, d’absolue ouverture à l’autre, qui est présent dans le titre, cache une manière de faire bien perverse. On dirait presque les paroles d’un gourou reprochant l’absence de miracle et le manque de foi de ses adeptes…
Le système de consommation est donc une drogue… Belle démonstration, mais pas très nouvelle. D’autant plus que l’esthétique relationnelle organise souvent de telles rencontres entre artiste et public. Iwona Majdan, lors de l’Année des commensaux à la Galerie Skol, avait elle aussi réalisé ce genre de dispositif. Tout comme Massimo Guerrera, qui traite de la perméabilité de nos univers privés aux systèmes de consommation avec une intensité plus inquiétante. Guerrera montre des corps qui semblent morcelés à un spectateur souvent confronté à de l’innommable.
L’amoureux d’art un peu novice pourra certes se laisser séduire par le dispositif ironique de Norman. Le public un peu plus averti reconnaîtra une histoire très souvent jouée où un peu de surprise n’aurait pas fait de mal.
Jusqu’au 26 janvier
Au Musée d’art contemporain
À signaler
Puisque je vous parle de Massimo Guerrera, notons qu’en complément à son exposition qui s’achève dimanche, le Musée du Québec vient de faire paraître un opuscule sur son travail. Un texte, signé par la nouvelle conservatrice de l’art actuel Annie-Marie Ninacs, accompagne une série de photos qui documentent la carrière d’une dizaine d’années de ce créateur, depuis ses solos, au début des années 90, à la Galerie 67 de Québec et au Centre Expression à Saint-Hyacinthe jusqu’à ses prestations récentes à la Biennale de Montréal ou dans les galeries Skol et Dare-Dare… Une référence.