L’Emploi du temps : Examen du passage
Que vaut une heure? Que faisons-nous de notre vie? L’Emploi du temps pose un regard stimulant sur les oeuvres de cinq artistes montréalais dans lesquelles s’inscrivent avec force la durée et le passage du temps.
Les occupations quotidiennes soutenues laissent toujours leurs traces. Celles qui occupent Raymonde April, Nicolas Baier, Mathieu Beauséjour, Stéphane Larue et Rober Racine sont des plus sérieuses. Leurs productions artistiques partagent, outre cette façon de relever avec force la durée, un rendu épuré et minimal. Des oeuvres qui, malgré leur facture pleine de retenue, ne sont pas dénuées de passion et, lorsqu’on y regarde de plus près, de quelques gouttes de sueur… Une exposition peut-être sans surprise rassemblant des oeuvres connues, pour la plupart souvent exposées, qui ont la qualité de ne pas se donner d’emblée aux spectateurs. On se laissera donc convaincre devant les tableaux de Stéphane Larue, chez qui l’utilisation stricte du blanc est une contrainte depuis 10 ans. Dans ce contexte, chaque geste, chaque ligne tracée sur la toile prend un sens. "La peinture conceptuelle devient objet sensuel", écrit la commissaire Anne-Marie Ninacs. Le mot est lancé: voici des oeuvres où la matière et la réalisation sont au service d’une idée; fondées et stimulées par elle aussi.
Pendant une quinzaine d’années, Rober Racine, musicien et romancier reconnu, a découpé les mots du dictionnaire pour en faire un parc de la langue française. Il a ensuite poursuivi un travail d’enluminure sur les pages altérées de l’édition de son Robert. Les 1600 Pages-Miroirs, le Musée national des beaux-arts du Québec les possède dans sa collection d’acquisitions récentes d’où proviennent les oeuvres sélectionnées par Anne-Marie Ninacs. S’inventant divers codes, Racine soulignera les notes de la gamme, les fa, la et sol, pour en faire une ligne musicale; il remplira les bouches des "a" ou des "b" de feuilles d’or, etc. Minutieux travail où la répétition des gestes, quasi obsessifs, et leur accumulation révèlent et questionnent notre propre usage du temps. C’est la succession des jours que la photographe Raymonde April a saisie en photographiant son entourage pendant presque 30 ans. De 1973 à 2000, elle a pris quotidiennement une photographie. Tout embrasser est une touchante documentation du temps qui passe, dont on peut voir une sélection de 517 photographies qu’on regarde, curieux, comme l’album de famille d’un étranger. April en a fait un film (archives de cette banque de jours), où défilent les images comme on tourne les pages d’un livre.
Mathieu Beauséjour a, quant à lui, passé 10 ans à estampiller des billets de banque, pour se retrouver non pas en prison, mais au musée! Sous un caisson de verre, les artefacts de l’opération Survival Virus de survie sont présentés comme de précieux témoignages de son activité: le tampon, ses archives et une image vidéo compilant tous les numéros des billets des quelque 100 000 $ qui sont passés entre les mains de l’artiste en une décennie. D’une "improductivité" désarmante, ce travail qui, à certains égards, en est un d’activiste, nous laisse, dans ce contexte, plutôt perplexes. Cependant, la seconde pièce de Beauséjour touche davantage. Ce sont quatre grands tableaux (Mêmes, 1998-1999) où est inscrit, dans un all-over d’encre sur papier vélin, un mot d’ordre de Guy Debord: "Ne travaillez jamais." Une oeuvre paradoxale et troublante parce qu’intrinsèquement contradictoire. Couronnant le parcours de cette vaste salle, le Chrysanthème, de Nicolas Baier, vient jeter une touche de couleur à l’ensemble. Image muette trônant dès notre entrée, cette photographie d’une fleur médusée parvient à suspendre, comme sait si bien le faire la photographie, le cours du temps.
Jusqu’au 25 mai
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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Bloc-notes
Nouvelle publication
Il faut souligner la parution d’un livre remarquable. L’ouvrage de petit format intitulé 4 installations pour le Grand Hall du Musée du Québec est signé par Lisanne Nadeau, dont le regard éclaire les oeuvres de Claudie Gagnon, BGL, Ana Rewakowicz et Annie Thibeault. L’écriture inspirée et rigoureuse de l’historienne de l’art fait plus que rendre compte du passage successif des quatre artistes au Musée, elle embrasse leurs productions respectives et permet de faire le point sur leur travail. Les reproductions des oeuvres sont impeccables. Illustré et traduit en anglais. Musée du Québec, 2003, 135 p.
Invitation
Folie-Culture organise une soirée de performances, le vendredi 28 février à la Chapelle du Musée de l’Amérique française à compter de 20 h. Une dizaine d’artistes, dont les performeurs Jean-Claude Gagnon et Christine St-Maur, les musiciens Martin Bélanger et Frédéric Lebrasseur et plusieurs vidéastes participeront à l’événement. C’est sous le thème de l’identité que se déroulera la soirée organisée en collaboration avec le Musée de la civilisation et l’exposition Parole de peau.