Gillian Wearing : Paroles humaines
Arts visuels

Gillian Wearing : Paroles humaines

La nouvelle exposition du Musée d’art contemporain est l’occasion de découvrir une intéressante jeune artiste anglaise, GILLIAN WEARING. Ses images témoignent d’un art social et engagé, au ton personnel et dépourvu de  démagogie.

Finalement, l’expo avortée de Jana Sterbak au Musée d’art contemporain (MAC) fut assez facilement remplacée (qui est irremplaçable?), et ce, par le travail d’une artiste tout aussi intéressante. Comme quoi les grands drames du milieu de l’art peuvent sembler bien mineurs une fois la poussière retombée… Le MAC a eu la bonne idée d’accueillir la création d’une jeune artiste anglaise, Gillian Wearing, qui, ma foi, ne manque pas d’intelligence, celle-ci sachant nous parler d’un art social et engagé sur un ton parfois très juste et très personnel, sans ostentation ni démagogie.

En provenance du Musée d’art contemporain de Chicago, cette exposition donne à voir le contre-pied du travail branché (et, avouons-le, parfois très séduisant) d’une autre artiste anglaise, Sam Taylor-Wood, dont la rétrospective vient juste de s’achever au MAC. Même si leurs dispositifs visuels sont parfois très semblables (par exemple, des projections vidéo sur grand écran ou écrans multiples, si à la mode de nos jours), là s’arrête la parenté entre les deux compatriotes. Wearing ne fait pas un travail mondain. Elle me semble bien plus dans la lignée des réalistes du 19e siècle (comme Courbet ou Daumier), n’hésitant pas à montrer la dure réalité de la vie des petites gens. En cela, elle participe à la meilleure tendance de l’art anglais contemporain, très attachée à des préoccupations sociales (je pense entre autres aux photos de Richard Billingham et Anna Fox que le public montréalais a pu voir, fin 99, au Centre Saidye Bronfman). Un art réagissant à de très longues années de mépris des pauvres et des questions sociales par une droite thatchérienne hautaine.

Un art politique?
S’agit-il pour autant d’un travail politique et activiste? Gillian Wearing ne voit pas nécessairement les choses ainsi. Pour elle, il s’agit davantage d’une approche sociale. De plus, elle justifie sa manière de faire par un besoin très personnel. Artiste très réservée – qui n’a même pas pris la parole lors de sa conférence de presse au MAC -, Wearing me disait que sa série montrant des individus portant des panneaux – avec un texte énonçant leur préoccupation du moment, qu’ils avaient écrit eux-mêmes – avait été motivée par le simple désir de réaliser cette pièce. L’artiste avait même été surprise qu’une galerie accepte de la montrer! Un art pas fait pour la galerie, donc…

Si engagement il y a, il vient donc avant tout d’une très personnelle curiosité du monde. Néanmoins, le résultat est une réflexion sur le rapport entre le pouvoir (des médias, de la pub, des politiciens…) et le public. Le titre de cette pièce dit déjà de quoi il s’agit: Signs that say what you want them to say and not Signs that say what someone else wants you to say. Cela reprend une idée de plusieurs artistes contestataires des années 60 qui pointaient comment notre identité est fabriquée par les images publiques. Dans cette oeuvre, vous verrez donc des gens portant devant eux un morceau de papier où se lit souvent leur angoisse existentielle. L’une de ces images – celle qui a fait le plus parler d’elle – exhibe un jeune homme très bourgeois, en costume cravate, portant un écriteau où sont inscrits les mots: "I’m desperate".

Toujours dans la même veine, Wearing propose un vidéo où des gens masqués parlent d’un traumatisme (agression physique ou sexuelle, mort d’un parent…). Bien sûr, cela fait penser aux émissions américaines où des individus viennent se confesser. Mais ici, pas de jugement, pas non plus d’intériorisation de valeurs morales. Bien curieux aussi, ce vidéo où une mère et ses deux fils font du lipsync sur les paroles de l’autre. Comme beaucoup d’enfants, d’adolescents et même d’adultes, j’ai souvent imité mes parents. C’est donc avec grand intérêt que j’ai regardé ce vidéo où la parole de l’autre est reprise, puis digérée pour parfois être encore plus rejetée.

Police sous surveillance
Le portrait vidéo que Wearing a réalisé de policiers anglais, qui tiennent la pose pendant une heure, évoque le travail de Vanessa Beecroft faisant poser des mannequins ou, plus récemment, des soldats américains pour ses performances et vidéos. Ce genre d’images me dérange un peu. Bien sûr, le milieu de l’art voudra y voir une certaine contestation du pouvoir… Dans ce cas particulier, un retournement de situation où ce n’est plus le pouvoir répressif des forces policières qui surveillent le public, mais bien le public qui scrute les agents de police. Cela peut faire penser au geste des manifestants actuels qui, par exemple lors du Sommet de Québec au printemps 2001, prenaient en photo les membres de l’escouade anti-émeute qui ne se gênent pas, et ce depuis bien longtemps, pour filmer et ficher le public. Ce geste, qui, dans une manifestation, sert symboliquement à dénoncer le travail d’intimidation des forces de l’ordre et à documenter parfois la brutalité policière, est-il si efficace dans le domaine des arts? Beecroft dénonce-t-elle vraiment le milieu étouffant de la mode et de l’armée? Ne participe-t-elle pas à une certaine forme d’aura octroyée à ces milieux? Je ne suis pas sûr non plus que ce portrait policé soit la meilleure création de Wearing.

J’aime bien mieux la pièce intitulée Broad Street, montrant des jeunes filmées à la sortie des bars et à l’intérieur de boîtes de nuit. Elle est installée dans la même salle du MAC où, il n’y a pas si longtemps, Sam Taylor-Wood montrait un party bourgeois ennuyant. Le contraste est absolu: ici les jeunes semblent bien plus proches du bonheur ou de leur angoisse existentielle.

Mais la plus riche de sens des oeuvres de Wearing est sans nul doute le vidéo Drunk. L’artiste a pour l’occasion fait venir des sans-abri dans son atelier alors qu’ils étaient saouls. Cela donne lieu à des scènes de dispute, mais aussi à des gestes d’affection très touchants entre soûlards. Rarement voit-on des hommes se toucher (en dehors des films gais) avec autant de tendresse. À une époque où le courageux maire Rudolph Giuliani a harcelé, à de nombreuses occasions, les sans-abri de New York, cela est d’autant plus pertinent. Les idées fascisantes deviennent de plus en plus acceptées comme banales par la population. Nous n’aimons pas voir les pauvres dans nos rues, et on parle très souvent avec mépris, autant dans les médias que dans les discussions privées, des victimes qui se victimisent… Cette expo est donc à voir, ne serait-ce que pour cette pièce qui nous ramène les pieds sur terre.

Jusqu’au 20 avril

Au Musée d’art contemporain