François Lacasse : La traversée des apparences
Sous leur beauté sensuelle, les tableaux de FRANÇOIS LACASSE dissimulent une intelligente réflexion picturale. L’exposition de sept de ses toiles récentes à la Galerie René Blouin comporte quelques grandes réussites.
Le peintre François Lacasse est fildefériste. Je dirais même qu’il travaille sur le fil du rasoir, frôlant la perte d’équilibre visuelle mais sachant presque toujours retrouver au dernier moment son aplomb dans une gestuelle asymétrique et une harmonie inattendue.
À propos d’une peinture si onctueuse, voilà des métaphores qui peuvent sembler peu adéquates. C’est la sensualité du coup de pinceau allant et venant en de longs effleurements ou la volupté de la coulée de peinture caressant la surface de la toile comme une grosse langue qui devraient être évoquées, plutôt que le danger du rasoir ou du fil de fer. Pourtant… La notion d’équilibre et de perte d’équilibre domine la peinture de Lacasse davantage que celle de la sensualité picturale, affichée avec ostentation en surface.
Que le spectateur ne se laisse pas avoir par les apparences. Bien sûr, il n’est pas sans danger de jouer avec autant de grâce avec l’onctuosité de la peinture à l’acrylique. Cela rajoute du risque à l’ensemble. La façon de Lacasse pourrait vite tomber dans le maniérisme, dans la séduction de l’oeil par la magie de la matière colorée et souvent translucide, alléchante comme du miel ou un glaçage à gâteau. Depuis trois ou quatre ans, les tableaux de Lacasse sont très beaux. Pourtant, le peintre ne tombe que très rarement dans la facilité et dans la formule. Cette peinture si belle cache une réflexion formelle sur l’écart, sur le décalage, sur l’accord entre le très petit et le très grand, sur la tache qui s’étend et la tache qui est apposée, sur des ruptures et des accords visuels… Une intelligente réflexion picturale, et cela même si je ne suis pas sûr que toutes les toiles affichées soient d’égale qualité.
Des sept toiles qu’il présente, trois ou quatre me semblent vraiment très justes. Parmi ces grandes réussites, notons l’extraordinaire Spectral qui fait dans le camaïeu de gris et Circuits élémentaires. Là, Lacasse s’éloigne de la grandiloquente peinture gestuelle abstraite américaine pour aller vers un ton plus intimiste et plus personnel. C’est là aussi qu’il réussit à trouver de la grâce.
Jusqu’au 23 mars
À la Galerie René Blouin
La nouvelle noblesse au FIFA
Je me suis encore fait avoir. Chaque année, je suis perplexe par rapport à la qualité visuelle des films présentés dans le cadre du FIFA (Festival international du film sur l’art). Bien sûr, ce genre est plus que conventionnel. Pourtant, je me laisse toujours happer. Il y a, dans ces récits très souvent centrés sur la vie des artistes, un enthousiasme prenant. À la sortie de ces biographies visuelles, le spectateur enflammé a envie d’en savoir plus. Lui aussi veut prendre la vie à bras-le-corps comme ces héros du domaine des arts qui ont repoussé les frontières de leur moyen d’expression mais aussi de leur conscience… Bien sûr, cela frôle le cliché, la vie romancée et le mythe. Et je me dois de vous mettre en garde contre le ton avec lequel ces films sont faits. Il s’y trouve presque toujours une glorification du génie. Nous ne sommes pas sortis du romantisme qui, bien avant le fauvisme ou l’impressionnisme, est le véritable premier mouvement artistique moderne fondateur de notre monde contemporain. La nouvelle noblesse est constituée des artistes qui ont remplacé le sang bleu par le talent inné. Ce schéma est dangereux. Mais bon, la dictature du génie sera certainement décapitée un jour comme les nobles sous la révolution. En attendant, plusieurs de ces films peuvent être inspirants.
Que vous conseiller? En visionnement de presse, je me suis laissé emporter par une petite merveille suédoise de 10 minutes, dont un extrait constitue la bande annonce du Festival: Music for One Apartment and Six Drummers montre l’intrusion de musiciens dans un appart bourgeois pour qu’ils y exécutent une musique élaborée avec les bruits que font les différents objets de la maison: brosse à dents, appareils électroménagers… Au départ, cela fait sourire. On se croit dans une pub pour Ikea. Mais, soudainement, cela devient une oeuvre très proche de la musique du quotidien développée par le fabuleux Jean-Pierre Gauthier. Ravissant. À voir lundi soir à l’Institut Goethe.
Le film de Werner Volkmer sur le sculpteur Robert Roussil est quant à lui très bien documenté, mais laisse dans le doute. Le réalisateur a malheureusement trop mis l’accent sur la vie de l’artiste, sur les anecdotes, et pas assez sur la valeur de l’oeuvre. Le spectateur aura du mal à savoir si Roussil – qui a fait l’histoire avec plusieurs scandales dont celui de La Famille – a été un grand artiste ou pas. Mercredi soir, au Musée des beaux-arts.
Pour ceux qui pensent que l’art actuel est de l’ordre du n’importe quoi, il faudra examiner attentivement la réalisation de Hughes Peyret sur la merde mise en conserve par l’artiste italien Piero Manzoni (samedi à 16h30, Cinémathèque québécoise). Plusieurs séances vidéo sont à surveiller, dont celle présentant les réalisations de Paul Landon, Manon Labrecque, John Watt et Jan Peacock (dimanche après-midi, Musée d’art contemporain). Le récit de voyage du Merveilleux Glenn Gould qui, à l’âge de 24 ans, décida d’aller faire une tournée en URSS pour rapprocher les cultures est aussi bien captivant (demain soir, vendredi, cinéma ONF). Et je vais aussi garder à l’oeil les films sur Robert Capa – belle épopée où Ulysse est remplacé par un apatride photographe de guerre -, sur Francis Picabia, sur Yves Klein…
Du 13 au 23 mars
Modernité revisitée
Même si, en art contemporain, les femmes sont aussi présentes que les hommes (certains diront même qu’elles dominent la scène), l’art moderne est-il encore narré comme le fait d’artistes mâles? C’est ce qu’on pourrait croire en allant à la Galerie Roger Bellemare qui propose le travail d’Aurélie Nemours. Peu connue du public et encore trop souvent méconnue du milieu de l’art, cette artiste française âgée de 93 ans est pourtant une figure importante de l’abstraction de l’après Seconde Guerre mondiale. Son art aurait-il été éclipsé à cause de son sexe?
À travers la série de sérigraphies que Bellemare montre, le visiteur pourra découvrir une artiste qui mérite une plus grande reconnaissance. Certes, ici, nous avons droit seulement à des pièces récentes mais elles sont impeccables, donnant à voir un travail compositionnel très contrôlé où les formes se font échos en des rythmiques complexes (N+H 921 et N+H 924 de 1993) ou bien s’opposent en structures monolithiques épurées (Angle droit BL et Angle droit JV de 1996). Elles donneront néanmoins un bon exemple de la qualité de l’oeuvre de Nemours.
Jusqu’au 5 avril
À la Galerie Roger Bellemare