Laurent Gagnon : Arme d’acier
Tissages métalliques, dents de pelle mécanique trouvées, cages d’oiseaux disloquées, chez LAURENT GAGNON, la sculpture est une affaire de fabrication. Faire parler la matière.
La Galerie Trompe-l’oeil présente une des bonnes expositions de sa saison en réunissant une douzaine d’oeuvres récentes de Laurent Gagnon. La jeune production de cet artiste se démarque par une approche singulière des matériaux et une exploration habile de différentes techniques, du "bricolage soigné", comme il le dit lui-même. Que ces sculptures aient plus ou moins d’indices figuratifs, elles relèvent toutes du même bonheur de fabriquer: "J’ai un plaisir à faire, explique l’artiste. J’étire même le plaisir!" Cette satisfaction de la fabrication et de l’exploration de différentes techniques est doublée d’une autre ambition: "La sculpture satisfait un désir du concret, une certaine expérience du réel. Je partage quelque chose de festif avec la matière." Quand on l’interroge sur le choix de la sculpture comme mode d’expression, il se révèle davantage: "Devant la sculpture, on retourne à la matière, on retourne aussi à soi-même."
Certaines pièces sont narratives, d’autres plus équivoques, toujours "dans une volonté de présenter des objets reconnaissables". Même si les pièces narratives semblent nous dire: "Regardez-nous! Nous sommes des sculptures!", on ne boudera pas notre plaisir pour autant. Qu’on pense à La Science, une très belle sculpture au demeurant, représentant un ballon (récipient pour faire chauffer un liquide utilisé dans les laboratoires) et faite de centaines de barres de touches récupérées de machines à écrire, le tout savamment assemblé. Qu’on pense à La Culture aussi, une immense théière faite de broches d’acier tissées. Certaines sculptures – ce sont nos préférées – sont plus énigmatiques. Elles jouent habilement sur leur statut et laissent plus longtemps dans l’expectative. C’est le cas de Les Dents de la terre, de Brochette d’artistes ou de Rose (Liberté conditionnelle), des cages d’oiseaux disloquées et superposées, donnant à l’objet des allures de ventilateur impossible.
L’éventail d’explorations techniques de Laurent Gagnon s’étend jusqu’à l’estampe. C’est son "plan B": "La sérigraphie nourrit mon besoin de créer des images." Ces estampes font d’ailleurs partie de Jeunes estampes au Québec, une exposition itinérante organisée par le Conseil québécois de l’estampe.
En quelques années de production, la feuille de route de Gagnon s’est passablement garnie: participation à Émergence à l’Îlot fleuri au milieu des années 1990, collaboration avec divers sculpteurs, dont Henry Saxe et Don Darby, résidence au Centre Est-Nord-Est en 2002, deux fois boursier du Conseil des arts et des lettres du Québec. Cette dernière exposition à la Galerie Trompe-l’oeil révèle un travail soutenu et singulier que nous pourrons à nouveau apprécier lors de la Manifestation internationale d’art de Québec en mai prochain.
Fibrille
Sculptures de Laurent Gagnon
Jusqu’au 5 avril 2003
À la Galerie Trompe-l’oeil
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Bloc-notes
Mars de la maîtrise
L’exposition collective des finissantes et des finissants en arts visuels est chaque année le prélude aux expositions solos qui se dérouleront successivement pendant les prochains mois. Quoique conventionnelles, les pièces réunies n’en demeurent pas moins des plus respectables, ne serait-ce que parce qu’elles témoignent d’autant de démarches artistiques qui s’élaborent avec rigueur. On peut voir des oeuvres de Marie-Claude Beaudoin, une toile de Paule Genest, les pièces de Thérèse Guy, Lucie Hamel, Louise Néron, Julie Bergeron, Alexandra Caron, des dessins de Chiguer A. Kader. Deux propositions restent particulièrement en mémoire: les tableaux d’Annie Bergeron qui ravissent par la couleur et la lumière qui s’en dégagent (à surveiller: son exposition solo en avril à la Galerie le 36), et la pièce de Julie Morazain, une sculpture sous influence soit, mais la seule de l’exposition qui nous semble digne de ce nom. Jusqu’au 30 mars prochain.
Babil (et autres langages codés)
La Galerie Esthésio expose les oeuvres d’Antonietta Grassi. Chez cette peintre, qui participait l’été dernier à l’exposition Hommage à Yves Gaucher (1934-2000), dont elle a été l’élève, le travail de la matière est aussi fondateur: "À une époque, écrit l’artiste, où de plus en plus de filtres s’interposent entre nous et nos expériences, la peinture nous offre une expérience directe de la réalité. Lente, salissante et peu pratique, cette expérience de la réalité par le biais de la toile et du pinceau contrecarre, certes, les défis et les interactions de la vie d’aujourd’hui. Mais c’est une expérience nécessaire." Pendant un an, Antonietta Grassi a codé les premiers babillages de son enfant qu’elle a transcrits sur la toile à l’aide d’encre et de compte-gouttes. Sa peinture, aussi sobre que dépouillée, fait partie de la nouvelle abstraction. Jusqu’au 30 mars.