Dirk Braeckman : Effroi photographique
La photo est un mode d’expression privilégié en art contemporain. Deux lieux consacrés à ce médium – VOX et Dazibao – en soulignent des usages très différents.
La semaine dernière, je vous parlais d’Élène Tremblay dont les photos à la Galerie Occurrence donnent à voir du mobilier abandonné dans la rue. Plusieurs lits et autres grabats éventrés en faisaient partie. Il y a des sujets et des motifs visuels comme ça, qui, on ne sait pourquoi, se mettent à hanter l’imaginaire de plusieurs artistes au même moment. Le lit semble être l’un de ceux-là. Nicolas Baier, lors de la Biennale 2000, nous a montré des images d’une chambre avec ses draps retournés et ses oreillers tassés; la Française Sophie Calle a élaboré une image de son plumard jeté dans la rue suite à un incendie; l’Anglaise Tracey Emin a exhibé sa couche après une semaine de maladie; Haim Steinbach a placé sur un présentoir un matelas aux motifs de fleurs…
À l’Espace VOX, l’artiste flamand Dirk Braeckman présente lui aussi plusieurs images de lits. À ces diverses couches sont juxtaposées des images de tissus, de murs, de salles avec des tapis, le tout constituant diverses textures. Comme l’écrit Gregory Salzman dans le texte de présentation, ici le tactile remplace le visuel. Se dégage de l’ensemble une atmosphère étouffante et presque glauque, les images de Braeckman baignant dans un ton de grisaille qui crée un effet de pénombre frôlant la cécité.
Si le lit a servi de prétexte à une réflexion moderniste sur l’image comme texture – je pense entre autre au célèbre Bed de Rauschenberg, où il devenait comme un double de la surface du tableau -, ici cet objet devient plus explicitement un prétexte pour parler de l’étouffement et de la mort. Ces lits ou ces lieux désertés semblent empreints d’une poussière noire digne de celle présente dans les corons des cités minières belges. Asphyxiant.
Mais ce n’est pas à proprement parler une photo qui vole la vedette de cette exposition mais une vidéo (au départ un petit film 16 mm) présentée en boucle, et d’une réelle durée d’une minute vingt-neuf secondes. Elle exhibe une image terrible et presque effrayante. Un visage – celui d’une femme – en gros plan semble figé dans une expression proche d’un rictus de mort. La caméra glisse vers son corps nu. Elle est couchée et l’abandon de sa pose évoque celle de gisants d’Andres Serrano ou des assassinés captés par Weegee. Mais ce film n’en est pas vraiment un. Il s’agit d’une photographie filmée. Et dans cette manière de faire, l’instantané photographique se révèle comme un acte très étrange. Cette photo de femme – en fait vivante et figée dans ce qui semble un rire – appartient à un code visuel connu du spectateur (une action prise sur le vif) qui, montré hors contexte, se dévoile comme une façon peu naturelle de pétrifier le mouvement du corps. L’instantané semble proche de ce récit de la Bible (la femme de Lot fuyant Sodome) où ceux qui regardent en arrière sont transformés en statues de sel… Ici ce sont ceux que l’on regarde qui se trouvent statufiés.
Cette image attaque de front l’idée de réalisme que dans la population on associe à la photographie.
Jusqu’au 6 avril
À l’Espace VOX