Louise Robert /Serge Murphy : Résistance
Notre critique propose une visite au Musée d’art de Joliette afin de parcourir l’oeuvre de la peintre LOUISE ROBERT et de voir les derniers développements du travail de SERGE MURPHY.
N’ayons pas peur des mots: il n’existe aucune expérience artistique ou même, en général, de l’image sans passage par le verbal et par les valeurs préétablies dans le langage non visuel, celui des idéologies du social. Aucune image n’y échappe. Il n’y a donc pas de pure expérience esthétique. Pas de pure contemplation des couleurs ou des formes. Jamais non plus de simple retranscription du réel. Il y a maintenant près de 35 ans, l’écrivain Michel Butor le disait bien dans un livre devenu célèbre, Les Mots dans la peinture: "Notre regard est tout entouré, tout préparé par un halo de commentaires." C’est à se demander si nous voyons vraiment les oeuvres… Marx avait donc bien raison, nos sens sont des théoriciens. Ils sont tout entiers préprogrammés à projeter des significations sur un monde qu’ils ne devraient pourtant que percevoir.
Depuis plus de 25 ans, la peintre Louise Robert a tenté, comme plusieurs autres peintres de la modernité, un retournement magistral: garder à la picturalité sa présence, sa résistance afin qu’elle ne devienne pas tout de suite image, simple illustration de valeurs. Un tableau, c’est plus qu’un titre, plus qu’une représentation d’un monde extérieur à lui-même, plus que quelques mots résumant le travail de l’artiste ou son genre (portrait, nature morte, peinture abstraite ou figurative…). Et c’est aussi plus qu’un simple écran de projection pour des idéologies (souvent bourgeoises).
Est-il possible que la peinture conserve sa pleine potentialité d’insurrection? Le Musée d’art de Joliette nous permet de juger comment la production de Robert, depuis ses débuts en 1975, a cherché à accomplir ce revirement-là.
Voici une rétrospective où l’autodidacte s’en sort plutôt honorablement. Dans le travail de Robert, on retrouve bien sûr, à ses débuts, de nobles emprunts à Cy Twombly (un important résistant du monde pictural). Mais le spectateur y trouvera aussi de belles parentés, de belles synchronies, avec Charles Gagnon (dont le spectateur se rappellera la récente rétrospective, début 2001, au Musée d’art contemporain). Tout comme Gagnon, Robert a joué de la mise en abyme, de la représentation de cadres dans le cadre, de la fragmentation de phrases écrites, de l’inscription de mots au pochoir. Le mot devient alors forme, la forme se fait opaque à montrer autre chose qu’elle-même. Ces processus, qui ont été souvent utilisés, me semblent certes avoir perdu un peu de leur nouveauté visuelle et de leur efficacité dans leur tentative de résistance… Mais cette expo a le grand mérite de nous rappeler avec force comment cette manière de faire a été importante. Et ce, même si certaines oeuvres m’y apparaissent un peu moins fortes. Néanmoins, plusieurs d’entre elles m’ont interpellé. Par exemple, cette acrylique, pastel à l’huile et tampon sur papier de rebut intitulée No 362, tableau tout noir où est inscrit le mot "autoportrait". Elle est digne de ces oeuvres minimalistes faites de plaques de contreplaqué, devant lesquelles le spectateur se demande bien ce qu’elles cachent.
Voici un processus bien valable si, comme l’écrit le critique Gilles Daigneault dans le texte du catalogue, "on consent à ne pas lire". La peinture a tout de même des limites: celles du désir de son spectateur de résister lui aussi au monde des idéologies.
Jusqu’au 17 août
Au Musée d’art de Joliette
Le monument au quotidien
Toujours au Musée d’art de Joliette, il faut aller voir le travail de Serge Murphy. Une occasion d’admirer une nouvelle pièce de l’artiste, une installation intitulée Sculpter les jours. Celle-ci poursuit avec brio les recherches de Murphy, et en particulier la belle réussite d’Autels de fortune qu’à l’automne 2001, à l’Espace Occurrence, l’artiste nous avait proposée.
Avec l’expo Tohu-bohu à Joliette, Murphy nous montre des sculptures, pointes sèches, lithographies, dessins… Ces derniers sont cependant moins forts. Ils me semblent prisonniers d’une esthétique années 80. À la fois proches des dessins pour enfants et de l’esthétique de la bande dessinée, ses oeuvres sur papier m’apparaissent un peu moins inclassables que ses sculptures. Comme dans Sculpter les jours où il s’attaque à une mise en scène visuelle, celle de l’autel religieux. Ici, il n’y a à vénérer que le monde au quotidien et la récupération du petit rien. Un détournement du dispositif du monumental et du monument qui ne cesse de nous ravir. Au moment où l’artiste contemporain est en train de prendre la place du héros ou du saint, j’apprécie particulièrement le travail de Murphy qui s’approprie les manières de faire du bricoleur et du patenteux.
Jusqu’au 26 octobre
Au Musée d’art de Joliette