Marie-Claude Bouthillier : La métamorphose
L’artiste MARIE-CLAUDE BOUTHILLIER fait un retour remarquable à la figuration avec une exposition à la Galerie Occurrence. Le corps et la peinture y disent leur capacité de transformation.
Nos corps sont des champs de bataille. Et je ne fais pas nécessairement référence aux maladies qui nous traversent ou qui peuvent nous emporter. Non. En fait, celles-ci dépendent bien souvent d’un contexte plus large. Nos corps sont les sujets d’enjeux, de débats sociaux et politiques: identité et morale sexuelle (il faut jouir de telle manière et pas de telle autre); appartenance à des classes sociales; modes astreignantes ou parfois (plus rarement) libératrices… Nos corps sont soumis à des règles qui en contrôlent les usages et même la longévité (on vit plus longtemps si on réside à Westmount que si on habite Saint-Henri).
Comment résister? Comment échapper à cela? Questions essentielles. Questions que discutent beaucoup d’artistes contemporains. Tel Massimo Guerrera avec ses expos où le corps et nos espaces privés sont décrits comme perméables au monde de la pub et des idéologies.
En coiffant sa plus récente exposition du très beau titre Résister, se dissoudre, la peintre Marie-Claude Bouthillier pose la problématique du corps à un niveau presque philosophique.
Bouthillier effectue ici ce qui peut ressembler à un retour à la figuration. Pourtant elle poursuit les mêmes préoccupations qu’auparavant. Dans cette exposition, elle nous montre des corps, atomisés, composés de lettres, de taches parfois semblables à des globules ou des molécules… Son vocabulaire plastique est néanmoins toujours le même: encaustique, répétition de formes organiques ou d’initiales (les siennes – mcb) jusqu’à ce qu’elles constituent des motifs presque végétaux, textures qui font penser au monde minéral… La peinture se fait métamorphose. Sauf qu’ici ce vocabulaire s’organise pour constituer des figures plus familières: des corps (presque fantomatiques) traversés par des champs d’énergie… Plusieurs fois revient aussi un visage de femme. Est-ce un autoportrait? Là, la chevelure fait penser au rideau presque scénique constituant la coiffure de Mae West dans son portrait par Dali…
Dans le titre de l’expo de Bouthillier, l’amateur éclairé trouvera une référence indirecte aux philosophes français Deleuze et Guattari et à leur ouvrage Mille Plateaux. Deleuze, pour qui "créer ce n’est pas communiquer mais résister", effectuait il y a plus de 20 ans avec son collègue une critique étendue des théories freudiennes mais aussi du capitalisme et des systèmes qui régulent nos corps. À travers des concepts tels que le devenir-minéral, le devenir-imperceptible ou le devenir-femme, ces philosophes ont donné une vision du corps très différente. Le corps chez Deleuze et Guattari est tout sauf normal. Éclaté, noué ou perméable, il est tout sauf équilibré.
Les concepts de ces philosophes continuent d’être dans l’esprit de l’époque. Il n’y a pas si longtemps, une expo en France intitulée Micropolitique revendiquait une de leurs idées: le réel combat de résistance est au niveau de l’intime. Le politique n’est donc pas nécessairement à l’extérieur de nous-même, mais bien plus en nous, dans toutes ces manières de faire et d’être que nous avons intériorisées…
Comment l’art peut-il être politique? Le célèbre critique d’art Nicolas Bourriaud (qui a développé la notion d’esthétique relationnelle) écrit dans le numéro d’avril de Beaux Arts magazine comment beaucoup d’oeuvres actuelles sont trop littérales et que la vraie contestation vient de la forme et non du récit engagé raconté par l’oeuvre. Pas si sûr que ça. Courbet a fait des tableaux dérangeants pas seulement à cause de sa manière. Filles de joie, lesbiennes, gens du peuple composaient aussi un sujet bien révolutionnaire.
À voir cette formidable expo de Bouthillier, je dirais que l’art est politique quand la forme montre sa capacité à se transformer, à être autre afin d’interpeller la capacité des êtres à se métamorphoser au plus profond d’eux-mêmes. Et pour ça, il n’y a aucune clé magique ni dans la forme ni dans le contenu.
Jusqu’au 3 mai
À l’Espace Occurrence
L’artiste chirurgien
La Saison du Québec, qui devait débuter à la mi-septembre 2001 à New York, a bien sûr été annulée pour les raisons que l’on sait. Carl Bouchard, Martin Dufrasne, Rachel Echenberg, Raphaëlle de Groot, Massimo Guerrera et Devora Neumark, qui devaient réaliser un volet d’interventions dans les rues de la mégalopole, ont finalement effectué leurs performances à Montréal.
Une publication qui vient de paraître sous le titre Gestes d’artistes permet de faire le point sur leurs pratiques. Des entrevues énoncent les liens entre l’artiste et le public, ou des réflexions sur la notion de communauté…
Pour résumer ce livre, je pourrais reprendre le titre d’une célèbre expo de 1969, Quand les attitudes deviennent formes. Quoique ici il faudrait plutôt inverser les termes et dire Quand les formes deviennent des attitudes. Car, comme le soulignent Marie Fraser et Marie-Josée Lafortune (commissaires du projet), au bout du compte, "la nature du geste d’artiste est en soi un acte engagé tout autant qu’engageant".