Expositions québécoises en France : Outre-mer adoptive
Arts visuels

Expositions québécoises en France : Outre-mer adoptive

De la préhistoire à l’art contemporain en passant par l’art moderne, de Bordeaux à Lille jusqu’à Paris, où est présenté Les Génies de la mer, le Musée national des beaux-arts du Québec étend ses tentacules. L’art voyage.

Les artistes québécois brillent actuellement au Musée d’art de Lille Métropole en France avec l’exposition Le Ludique mise en circulation par le Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’au 24 août prochain. Ils brillent par la qualité de leurs oeuvres, sans pour autant se prendre trop au sérieux. En témoigne le trio BGL, toujours égal à lui-même. C’est non seulement par la présence de sa désormais fameuse Mercedès, un "souvenir de 1998" comme le dit si bien Jasmin Bilodeau, qu’il retient l’attention, mais aussi en explorant d’autres talents qu’il réserve souvent au public des vernissages… C’est à demi-nus et chaussés de mocassins que Bilodeau, Giguère et Laverdière s’introduiront en terre française, déguisés en vendeurs de capteurs de rêve. Clin d’oeil bien mérité aux lieux communs sur l’Amérique, non sans revendiquer des origines remontant aux premiers habitants du territoire québécois actuel.

BGL ne pouvait mieux tomber en retournant ainsi aux sources. Fraîchement débarquée du Musée d’Aquitaine de Bordeaux, avec lequel le Musée national des beaux-arts du Québec collabore également, la préhistoire est aussi à l’ordre du jour dans l’agenda du Musée. Dans la région de l’Aquitaine, les plus anciennes traces de la préhistoire remontent à quelque 25 000 ans av. J.-C. tel que l’atteste la fascinante Vénus à la corne qu’on pourra voir à Québec dès octobre prochain et dont ce sera la seconde traversée de l’Atlantique, le bas-relief pariétal ayant été présenté en 1986 à New York. Découverte à Laussel en 1908, la Vénus est depuis reproduite et commentée dans la plupart des ouvrages sur la préhistoire. Envisagée avec un regard pluridisciplinaire, l’exposition regroupe non seulement des artefacts et autres traces de la préhistoire (par exemple des dents de mammouth), mais aussi des oeuvres de peintres académiques – Frémiet (1824-1910) notamment – qui ne sont pas sans rappeler combien les conceptions du monde changent et influencent les représentations. L’exposition Vénus et Caïn interroge aussi, à travers ces objets, la recherche du premier homme. Fils d’Adam et d’Ève, comment oublier que Caïn, c’est aussi le premier meurtrier…

Le jeu, thème de l’exposition Le Ludique, si générateur qu’il soit comme procédé à l’oeuvre dans certaines productions contemporaines, n’est pas seulement léger et insouciant, voire prétexte à toutes sortes d’arabesques. Le Joueur de flûte (1996), de l’artiste français d’origine algérienne Adel Abdessemed, présentée à Lille ainsi qu’à Québec, apparaît comme une des oeuvres les plus subtilement politiques de l’exposition. C’est cette diversité des effets de l’activité ludique que soulignait la commissaire Marie Fraser et qu’aura constaté l’importante foule de journalistes venue de France, du Québec et de Belgique. On peut présumer du succès public et d’estime de cette exposition. Une chose est sûre, comme l’explique John Porter, directeur du musée de la Grande Allée: "Le Musée d’art moderne de Lille est un musée de très haut niveau. Les artistes qui participent à cette exposition ont de meilleures chances de rayonner." On pense notamment au travail de Claire Savoie où des bulles de savon tourbillonnent dans une pièce cylindrique immaculée de lumière, à celui de BGL comme aux oeuvres de Serge Murphy, toujours aussi irrévérencieuses.

Le rayonnement des artistes contemporains québécois ne va pas sans un engagement soutenu. Pour John Porter, "un des problèmes de plusieurs de nos artistes, c’est qu’ils ne sont pas représentés par une galerie. On (le musée) les soutient, on les diffuse, ce n’est pas courant pour les musées d’État. On n’attend pas, on se commet!" Concrètement, cela s’incarne dans l’achat d’oeuvres et leur diffusion. Si on appelle cela aujourd’hui du réseautage, au début du siècle, on parlait davantage de mécénat. Cette époque – révolue? – nous ramène au Musée des beaux-arts de Bordeaux: "Au début de la trentaine, poursuit John Porter, un peintre comme Albert Marquet a été associé à un galeriste qui lui a acheté sa production jusqu’à la fin de sa vie." Ce peintre bordelais du début du siècle, le public pourra le découvrir dès le 29 mai prochain lors de la grande exposition estivale du Musée. Chez Marquet, quelques traits d’encre définissent une attitude; un coup de pinceau, une atmosphère. Il est toujours étonnant de constater combien l’économie de moyens et le dessin schématique trouvent encore aujourd’hui un écho, comme fascinent toujours les traces de la préhistoire. À l’instar de la plupart des oeuvres réunies dans l’exposition Le Ludique, qu’il fait bon de revoir sous un autre jour, le plaisir ne sera que plus grand de fréquenter à nouveau les oeuvres d’Albert Marquet…