Daniel Olson : Héritage détourné
Notre critique a effectué une tournée de galeries. Au programme: les ready-made de Daniel Olson chez Christiane Chassay, la peinture engagée chez Articule et le Catalan Pere Llobera chez Simon Blais.
Je venais juste d’entrer à la Galerie Christiane Chassay, j’étais en train de regarder une oeuvre quand, tout à coup, j’ai senti contre ma jambe comme une poussée insistante, presque digne d’un petit chien venant se frotter contre moi… Un globe terrestre qui, par je ne sais quelle astuce, se déplaçait dans la galerie en roulant sur lui-même était comme venu me souhaiter la bienvenue! Non, je n’étais pas tombé dans un film de David Lynch. Il s’agissait "juste" d’une oeuvre de Daniel Olson. Malgré la simplicité du dispositif mécanique qui permet sa circulation (un simple jouet roulant à l’intérieur), ce globe terrestre animé semblait bien se mouvoir selon une règle, comme attiré par les visiteurs.
Voilà une bien étrange chose. Elle est pourtant emblématique du travail d’Olson, qui frôle presque l’animisme. L’artiste a un talent certain pour transformer, juste par un ajout simple, les objets les plus anodins en une oeuvre poétique ayant un supplément d’âme. Ce processus, nommé en histoire de l’art "ready-made assisté" – invention de Marcel Duchamp -, semble donc avoir encore sa place près d’un siècle après sa création?
Encore Duchamp, me direz-vous? Pourquoi pas? Certes, ses héritiers ne sont pas tous à la hauteur du maître et, bien souvent – pour reprendre une phrase entendue lors du dernier Festival international des films sur l’art -, sa critique de la vanité de l’art sert maintenant de caution à l’art de la vanité (pensons à certaines pièces de Jeff Koons). Mais Olson travaille avec une simplicité telle qu’il évite justement la prétention des vampires de Duchamp.
De toutes les pièces présentées, j’ai particulièrement apprécié ces petites boîtes d’allumettes remplies de résidus de gomme à effacer. Elles contiennent les restes d’une reproduction de la Joconde patiemment gommée par Olson. Il explique ainsi son geste: "En arrivant à Paris, c’était évident qu’il ne manquait pas de culture. J’ai alors décidé d’en effacer!" Cela fait bien sûr référence au célèbre dessin de De Kooning effacé en 1959 par Rauschenberg. Mais ainsi, Olson renvoie ce geste à son origine et à la fonction première du ready-made, celle d’attaquer le rôle bourgeois de l’oeuvre d’art.
Une série de livres sur un présentoir attire aussi l’attention. Le visiteur se demandera ce qu’ils ont de si particulier. Ils sont tous signés par des auteurs ayant le même nom de famille: Olson. Daniel Olson pointe ici l’importance du nom de l’artiste pour le créateur. Le nom de l’artiste revêt chez plusieurs créateurs un rôle fondateur. Citons Courbet qui disait ne pas faire de courbettes (devant les nobles et les bourgeois), ou Picasso qui avait choisi le nom de famille de sa mère car il était composé de sept lettres et de deux "s", comme celui du célèbre Nicolas Poussin… À travers tous ces fils et filles Olson (All son of Olson), Daniel Olson nous parle de la filiation et de l’héritage symbolique. Certains héritiers cultivent mieux que d’autres ce qu’ils ont reçu de leur ancêtre. Olson fait partie de ceux-là.
Jusqu’au 17 juin
À la Galerie Christiane Chassay
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Peinture engagée
L’art se doit d’être politique et de nous engager d’une manière ou d’une autre dans un regard critique sur notre monde. Voilà pourquoi je ne peux que louanger l’entreprise des commissaires Vince Tinguely et Alain Martin. À la Galerie Articule, ils mettent en valeur une peinture engagée, regroupée sous le titre Regard à gauche. Une bonne sélection d’artistes y participent: Marie-Claude Pratte, Laurie Papou, Lorraine Simms, David Garneau, Sefi Amir, Ron Benner, flo… Pourtant, malgré la noblesse des intentions, l’ensemble a du mal à renouveler l’approche engagée.
J’ai davantage retenu la série de portraits d’hommes grimaçants intitulée Big Boys, peinte par l’artiste Dawna Rose. Ces hommes sont tous en train de rire, d’un rire qui semble bien gras. Ces hommes sont Jean Monty, ancien président de Bell Canada et responsable de la "liquidation" des 2400 téléphonistes de sa compagnie; Ted Rogers, président de Rogers Communications; Jim Meenan, d’AT&T… La réussite des uns ne serait-elle pas nécessairement signe du bonheur des autres?
Jusqu’au 15 juin
À la Galerie Articule
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Paysage déconstruit
Vous avez jusqu’à samedi pour aller à la Galerie Simon Blais voir les tableaux du Barcelonais Pere Llobera. Une peinture très gracieuse, sans pour autant tomber dans la joliesse. Bien au contraire, Llobera semble toujours retenir sa main d’aller vers une élégance trop marquée, et ce, malgré des références à Constable ou à Dürer. Le peintre catalan laisse à sa peinture un aspect brut qui entre toujours en conflit avec l’apparence onirique que ses tableaux dégagent au premier coup d’oeil. Ses titres nous mettent en garde: Chien inquiet; Femme cueillant des radis; Chiens gardiens et sacs volants; Rivière contaminée par l’ambition… Ces paysages frôlent toujours un certain type de romanesque abstrait. Mais, très vite, on s’aperçoit que les lieux décrits pas Llobera sont plus sinistres, évoquant les bidonvilles et les banlieues européennes dévastées.
Jusqu’au 7 juin
À la Galerie Simon Blais
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À signaler
L’artiste Stéphan Lagassé – qui a aussi une carrière de designer graphique – organise une expo-bénéfice de son travail. Du 5 au 8 juin, au Musée Marc-Aurèle Fortin (118, rue Saint-Pierre), il vendra ses paysages – des oeuvres mixtes sur papier photographique métallique – afin de venir en aide à l’Auberge communautaire du Sud-Ouest, qui effectue entre autres un formidable travail de réinsertion sociale de jeunes sans-abri. Grâce aux ventes, ces jeunes pourront réaliser eux aussi une expo de leurs travaux. Renseignements: 845-6108.