Tournée des galeries : Inconscient collectif
Avant que les galeries montréalaises ne ferment leurs portes pour l’été, il faut aller expérimenter le travail inusité de Thomas Bégin chez DARE-DARE et du collectif Mobile Home chez Clark.
Thomas Bégin se prend-il pour le célèbre magicien Houdini? Il semble en tout cas être devenu pour un moment contorsionniste. À l’entrée de la Galerie DARE-DARE, où il expose ces jours-ci, un écran télé donne en effet à voir Bégin en train de se glisser dans les armoires de sa cuisine! Il semble que l’artiste s’adonnait à cette activité quand il était gamin et qu’un beau matin, il ait voulu voir s’il pouvait encore tenter le coup… À l’heure où bien des gens sortent du placard, voici un artiste qui veut y rentrer. Simple désir de renouer avec sa jeunesse ou expression d’un sentiment plus profond? Dans ce vidéo, Bégin me fait penser à ces bêtes de foire et autres fakirs qui s’introduisent dans un cube de trois pieds de large et qui y restent pendant des heures. Je ne peux m’empêcher de voir dans ce jeu d’enfant rejoué à l’âge adulte une reconstitution par substitution de l’espace utérin et de l’accouchement. Scène primaire qui aurait marqué l’inconscient ou tentative de donner forme aux récits de naissance? Je laisse à plus compétent que moi en psychanalyse le devoir de juger du phénomène. Mais le lien me semble bien présent.
Bégin souhaite nous faire partager son plaisir à se glisser dans des espaces étroits et sombres (métaphore de l’acte sexuel?). Dans la galerie, il a construit une sorte de cabane pour enfants. Après être grimpé dans une échelle de bois, le visiteur passera par un long couloir exigu et coudé qui mène à une sorte de petit promontoire tapissé permettant de voir la ville. Le mois dernier, avec l’installation de Manon de Pauw, c’étaient les bureaux de DARE-DARE qui avaient envahi l’espace de la galerie; cette fois-ci, c’est la galerie qui prend d’assaut l’espace administratif puisque cet espace se situe juste au-dessus des têtes des coordonnateurs. Invagination.
Cette idée d’un espace dans l’espace, d’une construction dans la construction, est dans l’esprit de l’époque. Je pense entre autres au travail de BGL (au Musée d’art contemporain et chez Clark). Bégin contribue à cette esthétique d’une manière originale.
Jusqu’au 28 juin
À la Galerie DARE-DARE
Les intellos décadents
Décidément, en arts visuels, la fascination pour la narration n’est pas morte! Depuis environ une décennie, les artistes multiplient les vidéos avec des récits (plus ou moins clairs) qui semblent remettre en question le principe de spécificité que l’art moderne avait sacralisé et que déjà, dans les années 80, la peinture figurative avait attaqué. Les arts visuels renouent avec le littéraire. L’artiste américain Matthew Barney est un des grands apôtres de ce retour au récit où l’allégorie ainsi que le symbole (qui se prétendent recherchés et intelligents) retrouvent, après une éternité d’absence, une présence rassurante pour ceux qui trouvaient l’art trop abstrait. On n’est pas loin de l’iconographie prétentieuse des préraphaélites, qui était (et est toujours) très prisée par une bourgeoisie en mal de codes qui pourraient la démarquer. Que voulez-vous, tous n’ont pas l’habileté de convier sans littéralité un univers langagier riche comme Louise Bourgeois sait le faire.
Le collectif Mobile Home fait dans le genre narratif mais en en déconstruisant la structure. Leur installation, leur vidéo et leur performance présentés à la Galerie Clark s’intitulent Orphique, mais auraient pu tout aussi bien se nommer Orgiaque… Dans leur démarche s’opère une caricature éclatée, en forme de grotesque, de plusieurs formes de représentation et narration actuelles. Tout y passe: le roman-photo, le cinéma d’avant-garde, Marguerite Duras, les soaps, mais aussi les réalisations à la Matthew Barney… Comme chez ce dernier, le vidéo est présenté avec ses artefacts de tournage, sortes de reliques de l’art contemporain… Ici, ce n’est pas la grandiloquence très wagnérienne qui l’emporte mais plutôt le trash et le mauvais goût.
Collectif existant depuis 1999 – né de la rencontre de Lucas L. Jolly, Steeve Dumais et Gaëtan Desombre -, Mobile Home ne propose pas un genre nouveau. Mais même si ce type de caricature presque fantastique fait entre autres penser à Paul McCarthy, le résultat est néanmoins efficace et décapant. Pour en savoir plus sur Mobile Home: http://pages.infinit.net/mobileh/.
Jusqu’au 28 juin
À la Galerie Clark
Voir calendrier Arts visuels
Art de la mode
Certains pourraient dire que nous sommes à une époque où la limite entre l’art et la mode s’atténue de plus en plus. Un exemple: la ligne de sacs à main Louis Vuitton de Takashi Murakami (en édition limitée et numérotée, tellement en demande qu’il faut attendre parfois trois mois pour les obtenir). Le monde de la pub récupère plus vite les créations en art que le SRAS et la maladie de la vache folle ensemble n’ont contaminé les médias en mal de sensationnalisme… Et parfois, cela devient vraiment inquiétant. Les images de publicité sont parfois plus fortes que celles développées par bien des artistes! Les énormes moyens de cette industrie permettent des réalisations spectaculaires avec lesquelles ne peut rivaliser le milieu de l’art.
Il est donc intéressant de consulter le livre que les Éditions Taschen viennent de publier sur 150 designers de mode (on ne dit plus couturier, ça ne fait pas assez artiste, et puis quasiment aucun d’entre eux ne sait coudre, pas même un bouton!). Au-delà de l’information très pertinente que recèle cet ouvrage sur les plus in et les plus hot (de l’heure) artistes chiffonniers qui veulent tous se voler la vedette, c’est l’importance du travail photographique mis en oeuvre par ce milieu qui retiendra l’attention. Bien sûr, on y retrouve les incontournables comme les images très kitsch de David Lachapelle, mais aussi des photos plus recherchées, celles de Richard Kern (qui a fait aussi des vidéos pour Sonic Youth et Marilyn Manson), Matt Jones, Sophie Delaporte, Kayt Jones, Ellen von Unwerth… Retenez leurs noms, il se pourrait bien que ces photographes de mode aient une expo dans un musée pas loin de chez vous très bientôt, comme Herb Ritts il y a quelques années…
Fashion Now
Par Terry Jones et Avril Mair
Éditions Taschen
À signaler
C’est Bertrand R. Pitt qui a reçu pour l’année 2003 la Bourse Plein Sud (qui s’appelait auparavant la Bourse Duchamp-Villon). Bertrand R. Pitt s’est fait remarquer dans les 10 dernières années par ses installations vidéo et sonores où le regard contemplateur se trouve souvent en déroute. Le jury était composé de la directrice de la Galerie de l’UQÀM, Louise Déry, du peintre François Lacasse et du critique et historien de l’art Laurier Lacroix.