Doublures. Vêtements de l'art contemporain : Tenues de soirée
Arts visuels

Doublures. Vêtements de l’art contemporain : Tenues de soirée

Le Musée national des beaux-arts du Québec présente Doublures, une superbe exposition où des artistes de calibre international en côtoient de jeunes. Le vêtement politique, intime et social.

Grande entreprise que cette exposition qui réunit des artistes d’Autriche, de France, d’Angleterre, du Maroc, des États-Unis et d’ici. Une exposition menée brillamment par Johanne Lamoureux, directrice du département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal. "La vêture, écrit la commissaire invitée, c’est, au sens où Jacques Derrida l’entend, un supplément, c’est-à-dire qu’elle relève de l’accessoire non superflu, de l’accessoire nécessaire à l’élaboration d’une position du sujet." La plupart des oeuvres présentées utilisent le vêtement et y réfèrent de différentes façons. Des oeuvres sophistiquées dans leur fabrication, comme la sculpture de la jeune Américaine E. V. Day qui saisit et fixe au vol l’éclatement de robes et sous-vêtements sexy jusqu’aux piles de vêtements déposées au sol de Christian Boltanski, Dispersions (1995), une oeuvre à la fois radicalement simple et troublante. La plupart des oeuvres sont fortes, autant par leur qualité esthétique que par la rigueur de leurs idées. Avec cette exposition, le musée réitère son engagement pour l’art actuel. Pour Line Ouellet, directrice des expositions, "aborder l’art contemporain par le biais d’une approche thématique – comme nous l’avons fait aussi avec Le Ludique – permet de rendre possible une lecture accessible de l’art contemporain". Cette exposition permet aussi, poursuit Line Ouellet, "d’intégrer des pratiques québécoises en fonction de ce qui se fait ailleurs. Ça permet de situer nos artistes. Nous sommes connectés. Totalement réseautés!" C’est ainsi qu’on trouve des propositions des soeurs Nancy et Sheila Couture et de Carl Bouchard côtoyant celles d’Orlan, de Jana Sterbak, de Christian Boltanski ou de Yinka Shonibare.

Cette incursion du vêtement dans l’art contemporain, que Johanne Lamoureux qualifie de genre, s’est élaborée depuis quelques décennies autant dans l’art des artistes féministes qui revalorisait un retour à l’artisanat, par les artistes qui ont développé une esthétique de la trace, et d’autres une critique de la marchandise. Le français GOTSCHO propose une enfilade de quelques dizaines de vestons aux doublures dénudées. Entre disparition et apparition, l’Anglaise Cornelia Parker nous présente la robe que Mia Farrow portait dans Rosemary’s Baby. Vêtements sans corps, fétiches ou reliques. Un film du Canadien Rodney Graham fait d’abord rigoler. Mais comme le précise la commissaire, City Self/Country Self montre à la fois la violence de classe et comment on se fait violence à soi-même… Une oeuvre de Yinka Shonibare, artiste anglais d’origine africaine, reprend la mise en scène d’un portrait connu de Gainsborough dans une sculpture où "M. et Mme Andrews sans leur tête" (1998) sont habillés avec leurs atours du XVIIIe siècle confectionnés de tissus… africains. À la Documenta 11 de Kassel, une salle entière était consacrée à cet artiste où des dizaines de mannequins étaient ainsi vêtues, critiquant, non sans humour, le colonialisme britannique. Rising To the Occasion de l’artiste autochtone Rebecca Belmore s’attaque aux stéréotypes coloniaux, mais cette fois-ci, du point de vue de la culture des Premières Nations. Que ce soit les pièces d’Aganetha Dyck, de Naomi London, de Majida Khattari, de Tania Kitchell, de Devora Neumark ou celles de Lucy Orta ou d’Erwin Wurm, chaque oeuvre nous transporte au coeur de notre corps politique, intime ou social. Et trône sur cet ensemble la Robe de bal bleue de Dominique Blain. De loin, on perçoit une magnifique robe sans corps qui se déploie majestueusement dans l’espace. En s’approchant, on constate que la jupe est faite de dizaines de pantalons bleus de travailleurs. Dans cette salle de musée où la salle de bal et l’usine sont condensées dans une même oeuvre, c’est à l’univers des marchandises et à ses illusions que nous sommes confrontés: "Le luxe des uns a pour conditions de possibilité le travail des autres", rappelle Johanne Lamoureux. Incisif.

Jusqu’au 12 octobre

Au Musée national des beaux-arts du Québec

Voir calendrier Arts visuels

Bloc-notes
Point de chute
À la galerie Madeleine Lacerte, le peintre Martin Bureau a mis le chapeau de commissaire et regroupé autour lui les oeuvres de Thierry Arcand-Bossé, BGL, Doyon-Rivest, Dominique Gaucher, Sophie Privé, Marc Séguin et Rafael Sottolichio. Une judicieuse et audacieuse sélection qui fait de Point de chute un événement. À voir absolument. Jusqu’au 15 juillet.

Turbulence raisonnable
La saison se termine à l’Oil de poisson avec une exposition collective regroupant les trois lauréats du prix Tomber dans l’oeil 2003. On peut y voir les tableaux de Benoît Blondeau, les sculptures de Jean-Phillipe Roy. Les trois grandes photographies de Yannick Pouliot, quant à elles, auraient mérité plus d’espace. À voir, jusqu’au 6 juillet prochain.