Françoise Sullivan : Présence
La rétrospective de l’oeuvre de FRANÇOISE SULLIVAN – une des signataires du Refus global de 1948 – vient de prendre l’affiche du Musée des beaux-arts. Regard vers le passé? Questions posées au présent.
L’art le plus intelligent émerge toujours dans un contexte social où il trouve pertinence et résonances. Ainsi il en est aussi des expositions dans les musées. Certaines tombent à pic. À une époque où les acquis de la Modernité sont remis en question autant en art qu’en politique, il y a des événements qui ont le mérite de nous faire réfléchir sur notre rapport au monde dans le présent. Il en est ainsi de la rétrospective des 60 ans de création de Françoise Sullivan au Musée des beaux-arts.
Vous connaissez Françoise Sullivan? Bien sûr! Elle est une des signataires du Refus global. Mais – me direz-vous – pourquoi donc lui consacrer une rétrospective alors qu’elle en a déjà eu une en 81 au Musée d’art contemporain et une autre (portant sur les années 82 à 92) en 93 au Musée du Québec? N’en a-t-on pas soupé du Refus global et de son héritage? Et on sait bien comment, il y a cinq ans, lors du 50e anniversaire du célèbre manifeste, plusieurs voulaient relativiser l’importance de ce document et de ses répercussions. Aux oubliettes cette époque faussement héroïque… Passons à autre chose, non?!?
Notre aculturation et notre ignorance continueraient-elles? Que voulez-vous, c’est dans l’esprit de l’époque. De plus en plus de nos contemporains aimeraient se débarrasser de la révolution moderne et de ses acquis qu’ils n’ont jamais vraiment acceptés. Même notre gouvernement provincial actuel – au nom de valeurs de droite à peine cachées – dit vouloir faire le tri dans l’héritage de la Révolution tranquille!
Fondements modernes
Alors pourquoi exposer Sullivan?
Eh bien, premièrement, parce qu’il est très important que nos musées remplissent une fonction de mémoire. Répétons-le: si les Français, Anglais et Américains ont une culture forte, c’est qu’ils ont – souvent avec partialité – supporté leurs créateurs.
Deuxièmement, car les artistes du Refus global ont tracé la voie à cette révolution des années 60 (Sullivan y a même participé, vivant et exposant ici à cette époque) qui a donné naissance à un Québec libéré de bien des entraves, entre autres celles de la droite bien pensante et de la religion. Mais, là encore, je vais à contre-courant de notre époque qui oublie comment les gouvernements de droite (autant ceux en place à Québec qu’à Ottawa) et le clergé ont étouffé la population bien souvent en prétendant la protéger du pire.
Troisièmement, car malgré le fait que le projet moderne de liberté créatrice que cette génération a glorifié me semble parfois un peu simpliste et utopiste, il m’apparaîtra toujours plus valable que le retour à l’ordre que bien des courants sociaux et même artistiques nous offrent depuis les années 80. Il y a dans la modernité artistique une magnifique réflexion sur le médium, sur la manière de créer un maximum d’émotions avec un minimum de moyens, qui pose avec intensité la question de l’essentiel.
Et puis quatrièmement – argument d’importance -, parce que Sullivan a créé une oeuvre qui se tient et cela même si – ne le taisons pas – elle recèle aussi plusieurs moments faibles.
Modernité: corps à corps
Comme le faisait remarquer le conservateur de l’art contemporain Stéphane Aquin, lors de la conférence de presse au Musée des beaux-arts, Sullivan a été au Québec et au Canada une référence pour plusieurs formes d’art. Elle a été, par exemple, une des principales figures ayant présidé à l’avènement de la danse moderne d’ici. Dans l’expo, on peut voir en particulier deux reconstitutions vidéo de la chorégraphie Dédale, oeuvre majeure. L’être de la danseuse y semble prisonnier de son corps. Elle paraît vouloir se libérer, tentant de jeter sa main, son bras, sa tête… Mais elle est toujours ramenée à ce corps, limite et moyen de son existence. Une réflexion sur la nature du médium qui est aussi présente dans les tableaux et sculptures de Sullivan. Par exemple, Chute rouge (oeuvre en acier soudé) s’oppose au monument classique dressé vers le ciel. À travers cette réflexion moderne sur la présence de la matière, de son poids, de sa texture, c’est toujours une réflexion sur les limites de nos propres corps qui se dessinent.
Sullivan a élaboré une oeuvre en constante variation avec, à mes yeux, un creux dans les années 80. Sa peinture y apparaît alors trop lyrique et un peu trop à remorque de la mode figurative de l’époque (entre autres de la trans-avant-garde italienne). Mais Sullivan crée aussi à ce moment – là cette Tour, composée de caisses de bois et de petites lumières, qui trouverait ça place dans n’importe quelle expo actuelle en bonne compagnie avec le travail du trio BGL.
Mentionnons la qualité aussi, la qualité de présentation de l’ensemble de l’exposition. Juste un peu théâtrale, elle réinterprète et souligne avec simplicité la manière moderne de présenter.
Jusqu’au 5 octobre
Au Musée des beaux-arts de Montréal
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