General Idea : Ménage à trois
Pendant 25 ans, le trio GENERAL IDEA a utilisé son humour incisif pour déconstruire les images de notre société. Une expo à la Galerie Leonard et Bina Ellen de l’Université Concordia permet de faire le tour des multiples que le groupe a produits.
Subversion des codes dominants, parasitages, infiltrations, appropriations, réappropriations, contaminations: pour reprendre une célèbre phrase d’une chanson de Laurie Anderson qui disait que le langage est un virus (idée provenant en fait de William Burroughs), il faut dire comment, pour General Idea, l’art est un virus. C’est une notion clé de son travail. Le collectif a d’ailleurs produit toute une série d’oeuvres intitulées Images virus. L’art s’infiltre, envahit nos murs, nos vies et nos rêves. Quelle maison n’a pas une reproduction d’un tableau impressionniste dans son salon ou au-dessus de sa toilette? Le trio General Idea, qui était constitué de AA Bronson, Felix Partz et Jorge Zontal (de leurs vrais noms Michael Tims, Ronald Gabe, Slobodan Saia-Levy), a très vite compris cela et a décidé de prendre possession de ce système de diffusion à des fins de subversion, de dénonciation, de contestation. Une manière d’attaquer cette prolifération de l’esthétisation comme outil de réconfort et d’aliénation des masses.
Brouillages artistiques
Cela a commencé en 1969 à Toronto. À moins que cela ne soit en 68 ou en 67… En effet, General Idea a prédaté certaines de leurs interventions pour se créer une fausse histoire. Comment être plus underground qu’en ayant dans sa biographie des expos et interventions artistiques que personne n’a vues? Dans un milieu de l’art où il y a beaucoup de m’as-tu-vu qui joue au jeu du "As-tu vu ça? Hein? tu n’as pas vu!" cela ne manque pas de piquant. Même les institutions les plus sérieuses se sont laissées prendre. Dans plusieurs dictionnaires sur l’art et même dans des répertoires de collections de musées, on parle de 68 ou 67 comme point départ de l’oeuvre de General Idea… Donc, en 69, General Idea se forme et se lance dans son entreprise de remise en question de codes dominants. L’expo à la Galerie Leonard et Bina Ellen retrace ce parcours avec minutie. General Idea lance très vite un concours: le Miss General Pageant. Comme me le faisait remarquer la guide Stéphanie Bolton durant la visite de l’expo, lors de la réalisation en 71 de ce concours (commenté dans l’expo par un faux article dans Artscanada fabriqué par les artistes de General Idea…), c’est un homme qui remporta le prix! Il avait "capté l’essence du glamour sans se laisser piéger par celui-ci"… GI (on me permettra ce détournement du soldat américain qui frôle le logo de la General Electric…) n’a donc pas hésité à faire une critique des codes de la féminité, de la masculinité mais aussi de l’identité homosexuelle et queer qui est devenue un des thèmes majeurs de leur oeuvre d’art. GI a ainsi constitué une des premières manifestations (par l’art) des gays studies qui se sont tant développés depuis la fin des années 80.
L’utilisation de l’image du caniche est à cet égard exemplaire. À la fois chien en chaleur, chien fou qui se fourre le nez partout et qui baise à qui mieux mieux, ce cabot pourrait être lu comme un symbole des gays d’une certaine époque qui revendiquaient leur liberté sexuelle absolue. Il est devenu un emblème de leur travail, leur permettant de s’attaquer aussi à l’imaginaire de pouvoir que les chiens convoquent. Ni bouledogue, ni berger allemand, le caniche apparaît souvent dans les faux écussons, drapeaux et armoiries fabriqués par GI, évoquant à la fois le scoutisme et les emblèmes nazis. Entre l’imaginaire gay et le monde du pouvoir hétérosexué, la limite serait plus faible que certains pourraient le croire. Le caniche comme chien de garde de notre imaginaire.
Art et politique
GI a aussi remis en question la notion de génie individuel et la sanctification de l’artiste. Comme le faisait remarquer Cristina Sofia Martinez dans un article des Cahiers du Musée national d’art moderne, le trio a aussi questionné la notion de droit d’auteur qui est un des fondements du capitalisme bien plus qu’une manière de protéger les droits intellectuels ou économiques de l’artiste. Par exemple, pour sa revue File, GI copia le lettrage et les couleurs de la revue Life qui menaça de le poursuivre. En 1987, les lettres du virus du sida remplacèrent celles du célèbre Love que le peintre pop art Robert Indiana réalisa en 1966. GI établit alors une des images les plus fortes de cette époque.
Une des grandes leçons de cette expo est que le parasitage, l’humour et l’ironie peuvent et doivent servir à des fins militantes et politiques. L’ironie de GI n’a rien à voir avec celle infantile que pratiquent beaucoup d’artistes actuellement.
Travail sur le faux, contestation du génie de l’artiste, réflexion sur l’identité gaie… General Idea a fait un véritable ménage à trois. Une forme de nettoyage des grands clichés de notre contemporanéité, s’attaquant à toutes les représentations du pouvoir et même à ses réappropriations. Une expo importante sur un des groupes artistiques les plus pertinents de la fin du 20e siècle.
Jusqu’au 9 août
Galerie Leonard et Bina Ellen
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