Scatalogue : Caca sur plateau d’argent
Se gaver de Scatalogue: 30 ans de merde en art contemporain est consistant, très nourrissant pour le cerveau.
Sujet controversé, voire tabou, la merde a suscité à l’heure actuelle, tant des tollés qu’une curiosité provenant de toute part sur le plan mondial… Ironiquement, d’un côté, le titre de cette exposition cite les mots d’un vocabulaire primal et restreint que certains utilisent pour définir l’art contemporain, réaction à leur incompréhension. Lisez le livre de commentaires d’une exposition… Vous n’aurez pas à chercher bien longtemps… D’ailleurs, le tableau cynique de Lucie McGraw traite justement de ces affirmations, en démontre le ridicule par la mise en scène d’un chien qui chie sur une toile pour peindre. D’un autre côté, le titre amène un aspect critique par rapport aux institutions, aux centres d’artistes autogérés autrefois parallèles à ces dernières, dont certains tombent aujourd’hui dans un art lavé, maniéré, question d’être aimé de tous…
Scatalogue: 30 ans de merde en art contemporain fait, d’une part, basculer ce discours injustifié en initiant le public à ce qui se fait depuis trois décennies, démontrant de facto que l’art se veut une arme engendrant la réflexion, voire quelques possibilités de changement sur les plans politique, social, etc. D’autre part, cet événement fait contrepoids à la volonté d’une propreté esthétique javellisée qui semble faire la norme et où le contenu est biffé au profit d’un superficiel en vogue. Ici, une trentaine d’artistes, dont certains internationaux et majeurs, composent cette tablée offerte comme une grande dégustation de thèmes variés, la consommation, le sexisme, etc., dans l’approfondissement intelligent de notre condition humaine.
L’une des fascinations abjectes que suscite la merde vient du fait que l’intérieur du corps devient visible. Bien que différentes, les oeuvres de David Diviney, de Yuri A. et de Wim Delvoye démontrent justement ce processus naturel, machinal et scientifique, jouant sur la dichotomie perfection-imperfection du corps. La machine à excréments de Delvoye, tout comme ses canettes de Cloaca – signifiant "égout" – où l’on voit Monsieur Net à l’état humain, nous rappellent les étapes du processus de transformation, partant de la consommation jusqu’aux égouts, passant par les jeux de l’esprit. Étant lui-même un produit de nettoyage, M. Net rappelle que la fonction fécale est nécessaire lorsque l’on constate la consommation dont témoignent les contenants de pseudo Coca-Cola. Hot shit de Julie-Renée de Cotret, constitué d’un bronze et d’un piédestal, élève ironiquement les excréments au rang de matière noble, tout comme Pat Durr avec A Great Cow Caper – A Colossal Cow Pat for Calgary, un monument de bouse de vache. Ces oeuvres remettent en question nos modes d’appréciations de l’art en termes de beauté ou de laideur déterminé en fonction du sujet. L’oeuvre d’Eric Cameron comporte des notions d’intimité quotidienne dans le geste répétitif de recouvrir, comme s’il s’agissait de quelque chose de précieux, un caca de chien en pleine réaction chimique…
Salé, piquant, mets "cochons" de l’esprit, cette exposition en offre réellement pour tous les goûts.
Jusqu’au 26 juillet
À la Galerie Saw
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