La Biennale de Venise : Valium
C’est la 50e Biennale de Venise. Fondée en 1895, cet événement international permet de faire un survol de la création actuelle. Bilan.
Commençons par un constat: le thème qui a été choisi par le directeur de l’événement cette année, Francesco Bonami (né en Italie en 1955, vivant aux États-Unis depuis 1987, critique d’art influent et surtout conservateur au Musée d’art contemporain de Chicago), peut sembler intelligent au premier abord, mais manque de profondeur et se révèle une critique superficielle du milieu de l’art. Le titre de la Biennale – Rêves et conflits: la dictature du spectateur – tombe vite en panne de sens. Petite critique qui évite de vraies questions. Certes, depuis plusieurs décennies le monde de l’art est pris d’assaut par un public de plus en plus nombreux, qui paraît inviter les musées à organiser d’insipides blockbusters. Mais est-ce vraiment ce grand public qui dicte ses règles à l’art contemporain? J’en doute. Plusieurs autres thèmes auraient été justifiés et auraient traité avec pertinence des conflits d’intérêts qui tiraillent le monde pas si désintéressé du goût esthétique international actuel.
Quelques exemples: l’événement aurait pu traiter de la dictature de l’argent, de celle du marché et des collectionneurs, de la tyrannie de l’artiste (de plus en plus d’artistes se comportent comme des divas en se prenant pour des génies) ou encore du diktat de la mode qui s’accapare sans cesse l’art et domine de plus en plus l’univers fantasmatique de la création artistique. Le symbole le plus flagrant de cela étant bien sûr le vidéo-publicitaire en dessins animés de Takashi Murakami pour Vuitton (entreprise pour laquelle l’artiste a élaboré une collection de sacs) et qui ouvre au Museo Correr l’expo de peinture traitant de cette forme d’art depuis Rauschenberg… On croit rêver! Les 40 dernières années de recherches picturales aboutissent à ça!?! Dans ce vidéo, le spectateur voit, devant un magasin Vuitton, une petite fille se faisant gober par un gentil monstre. Elle flotte alors dans un univers de formes joyeuses qui sont en fait les motifs des sacs et autres babioles de la célèbre marque de commerce… Seul la domination du réseau États-Unis – Grande-Bretagne – Allemagne semble être un peu remise en question dans cette biennale. L’événement qui occupe les lieux de l’Arsenale est cette année en effet découpé en huit sous-sections, qui tentent de donner une place importante à l’art non occidental. Une section est réservée à l’art contemporain africain, une autre est consacrée aux représentations arabes contemporaines, une troisième est dominée par les artistes asiatiques. Petites concessions.
Mais bon, dans ce genre de grand événement, le thème est souvent (et malheureusement) un prétexte… Alors, qu’en est-il des oeuvres?
Entre aliénation et libération
Voici une biennale plutôt moyenne. Se voulant plus expérimentale que celle de 2001, elle comporte moins de grands noms, mais reste néanmoins souvent au niveau de la redite des grandes tendances actuelles.
Notons néanmoins quelques faits marquants. Le célèbre artiste anglais Damien Hirst propose avec Standing Alone on the Precipice Overlookink the Artic Wastelands of Pure Terror une oeuvre en effet angoissante: 18 000 médicaments (copiés en aluminium, en résine, en métal et en plâtre) disponibles sur le marché sont placés devant un miroir dans lequel le spectateur peut se voir. Glaçant. Au pavillon du Japon, Motohiko Odani a constitué un univers fantastique dont le point fort est un couloir où sont suspendus des fleurs étincelantes et un stalactite, vibrant des lumières d’un stroboscope évoquant un orage. Le tout aveugle le regard. Fernando Ortega signe un memento mori moderne composé entre autres d’un immense panneau où est inscrite la phrase punch See the World Before You Leave It… L’installation picturale de Chris Ofili au pavillon de la Grande-Bretagne est décevante. En peignant les murs du même rouge et vert entêtant que dans ses tableaux – qui prennent de plus en plus un tournure maniérée -, il rend son oeuvre simplement décorative. Dommage. Au pavillon des pays nordiques, le vidéo très mode, très jeune, très vidéoclip et surtout très critique de Liisa Lounila fait penser au travail du Québécois Pascal Grandmaison et fait prendre conscience que nos artistes n’ont rien à envier à ceux d’ailleurs.
Une des réalisations les plus efficaces de cette biennale est sans nul doute celle créée par Santiago Serra au pavillon de l’Espagne. Je n’ai malheureusement pas pu la voir… L’entrée principale du bâtiment était en effet murée. Pour pouvoir pénétrer par la porte arrière, il fallait être un citoyen espagnol muni de son passeport ou d’une carte d’identité valide! Des gardiens surveillaient l’ensemble. Une oeuvre qui fait plus que parler de l’exclusion et qui nous oblige à l’expérimenter (vous pouvez en apprendre plus sur cette pièce en visitant le site www.mae.es/biennalvenecia). Une oeuvre politique à plusieurs égards: même dans le monde l’art, il y a aussi des élus et des exclus.
Et qu’en est-il de la prestation de Jana Strebak au pavillon du Canada? Je vous en reparle la semaine prochaine. Jusqu’au 2 novembre.