Buy-Sellf : J’aime, j’achète
À la Fonderie Darling, le collectif BUY-SELLF remet en question le marché de l’art et notre système de consommation.
L’art ramené à son marché: avec le collectif français Buy-sellf, l’oeuvre d’art est bien plus qu’une simple question d’esthétique (bien mensongère et hypocrite réduction). Fondé en 98 par de jeunes artistes bordelais, Buy-sellf publie presque tous les ans un catalogue dans lequel une ribambelle de créateurs proposent leurs plus récentes réalisations. Le public peut y choisir une oeuvre, l’acheter et la recevoir par la poste. Voilà une manière de contourner le réseau des galeries qui vient combler un vide important. Combien d’artistes n’ont pas de galeristes pour les représenter? Buy-sellf se fait leur défenseur. Avec ce catalogue, il court-circuite la dictature du tout-puissant marchand d’art (ainsi que de son réseau d’influence) et souligne aussi un fait important: de nos jours, de plus en plus d’artistes se représentent eux-mêmes. La galerie d’art serait-elle en train de perdre son monopole? Il faut dire que ce lieu n’a pas toujours existé et qu’il a émergé (à la fin du 19e siècle) en même temps que la bourgeoisie prenait de l’expansion.
Voilà déjà une bonne raison d’aller voir à la Fonderie Darling, dans le centre d’artistes Quartier Éphémère, la présentation des objets du collectif Buy-sellf, invité par la commissaire Josée St-Louis. D’autant plus que le groupe se mondialise, des artistes québécois et ontariens s’y étant greffés.
Mais il y a plus. Dans l’action de Buy-sellf s’énonce aussi une parodie de la vente par correspondance (ainsi que du télémarketing) et de sa mise en marché d’objets inutiles. Quelques exemples que vous pourrez trouver dans le catalogue Buy-sellf: un matelas qui ronfle, des vêtements surpiqués de vrais poils humains, un gant-bouillotte, un balai oblique pour mieux nettoyer les coins, un pistolet qui hypnotise ceux que vous voulez… Le genre d’objets qui – comme le dit avec honnêteté la publicité – changeront votre vie. Voici donc encore une fois une critique du monde de consommation qui nous entoure. C’est peut-être le point le moins fort de cette expo. Non pas que cette critique manque de mordant. Mais ce ton n’est guère nouveau et me semble parfois rendre moins sérieuse cette action qui pourtant est d’une grande importance. De ce point de vue, notons aussi que pour la majorité des oeuvres, le prix demandé réitère la valeur sacrée de l’art que le ton ironique de l’ensemble semblait vouloir critiquer (cela est marquant pour les vidéos à 1000 $ pièce). La critique du marché ne passe pas seulement par l’élimination d’un intermédiaire. Si l’on veut que l’oeuvre soit accessible à plus de gens, il faut aussi que les artistes acceptent de faire, en parallèle de leurs oeuvres uniques, des séries à moindre prix. Et ce ne sont sûrement pas les technologies actuelles qui interdisent cela…
Signalons néanmoins quelques réussites. Stephane Arcas, avec Bodycount, nous ramène à la réalité de nos êtres. Sur le sol sont posés quelques bouteilles d’eau et quelques matériaux insignifiants: "Voici mises à plat toutes les composantes du corps humain. Le chimiste amateur n’aura qu’à les mélanger judicieusement, afin d’obtenir la créature de ses rêves." Un être de 70 kilos n’est-il pas juste 45 kg de H2O, 220 g de souffre, 0,05 mg d’or, 0,025 mg d’arsenic, un peu de carbone et quelques autres composants chimiques? Mickaël Batard nous permet de créer dans notre propre maison un moucharabieh (balcon, dans l’architecture arabe, fermé par un grillage décoré) original, formé de contenants de plastique provenant de chez IGA. Jérôme Fortin nous propose de devenir artiste et de monter nous-même, avec quelques capsules de bière, une de ses pièces. Emmanuel Galland poursuit l’oeuvre d’un de ses auteurs favoris et publie un (faux) livre d’Hervé Guibert intitulé Le Récit de la mesquinerie. Je vous laisse le plaisir de découvrir le contenu de cet inédit… Et BGL a mis au point un kit pour que toute manifestation soit une réussite (de petits mannequins de bois que l’on peut faire rouler à côté de soi). Voir aussi www.buy-sellf.com.
Jusqu’au 31 août
À la Fonderie Darling
L’étranger
Surprise devant les plus récentes photos d’Andrea Szilasi à la Galerie Art Mûr (rue Saint-Hubert). Elle qui, au cours des dernières années, élaborait des images tramées demandant au spectateur un important travail de décodage expose cette fois-ci quatre photos qui, au premier coup d’oeil, sembleront presque banales. Finie la réflexion sur l’opacité des images? Quatre corps nus captés dans une simple prise donnent un sentiment de retour à une manière plus conventionnelle. Sont-ce des photos de modèles vivants posant pour un peintre? Pas si simple que ça. À y regarder de plus près – et le titre de l’expo, Mirer, le laisse entendre -, ces images recèlent bien de l’étrangeté: poses étonnantes dignes d’un contorsionniste ou d’un yogi (Szilasi se montre dans l’une d’elles, le corps tout étiré), reflets et dédoublements de corps dans des miroirs, raccourcis et télescopages: ces anatomies sont finalement tout sauf conventionnelles. Le corps s’y dit comme une étrange machine. Cette nouvelle direction dans laquelle Szilasi s’engage pique ma curiosité.
Jusqu’au 16 août
À la Galerie Art Mûr