L'étrange Emily : Quand l'ordinaire s'appelle Strange
Arts visuels

L’étrange Emily : Quand l’ordinaire s’appelle Strange

La mode est au pop-punk-rock-métal, au "on fesse fort, mais avec du style"… la mode, la musique et les idoles aussi. Il n’y a qu’à noter la présence des Avril Lavigne, Sum 41, No Doubt, Good Charlotte, et le retour fracassant des films d’horreur, ultra présents au Box office au cours des dernières années, pour voir et comprendre que, de plus en plus, on aime l’étrange, mais surtout on aime le dérangeant. Et c’est exactement ce que représente EMILY THE STRANGE, qui a notamment été vue dernièrement en compagnie de Björk et Britney Spears.Alain Pacadis aurait aimé Emily, lui qui écrivait en 1977: "Désormais nous allons pouvoir montrer au monde nos faces blafardes et nos coeurs couleurs des ténèbres car our time is up".Arrêt sur un phénomène d’image et de mode, puisant aux sources du mouvement néo-punk.

Emily, c’est un visage blanc aux cheveux noir, sur fond rouge. Emily n’a pas besoin des mini-jupes de Sailor Moon, ni des pouvoirs d’un Pokémon; si elle les avait, elle en perdrait son message, et sa raison d’exister. Tout le monde a un jour ou l’autre besoin de s’identifier à quelqu’un, quelque chose, un mouvement, un style… mais qu’arrivent-ils aux enfants qui, contrairement à Harry Potter, n’ont pas de pouvoirs magiques pour épater la galerie, et à tous ceux pour qui être différent ne rejoint pas un personnage au style – souvent radical – déjà existant ?… Emily rend acceptable et normal d’être un "outsider", un discordant, entre le mystérieux et le purement ordinaire. Elle est le symbole de tout ceux qui n’avaient pas de groupe auquel se rattacher, et par le fait même, elle crée ce camp, et dans le cas d’Emily, on pourrait presque parler d’une espèce.

Tout en simplicité, le personnage d’Emily coula de la plume de Rob Reger en 1992. À l’origine, c’était une petite fille sur des autocollants, distribués dans les boutiques de planche à roulette et dans les concerts, afin de promouvoir Cosmic Debris. Aujourd’hui, Cosmic Debris est une multinationale comptant une vingtaine d’employés, créatrice et maître de plusieurs personnages du genre d’Emily, sans oublier des produits de tous genres, lignes de vêtements, bébelles flacheuses et tape-à-l’oeil, livres tout en couleurs, etc. Il est d’ailleurs difficile de trouver des informations sur les créateurs et sur Emily en général, puisque même si le produit semble a priori plutôt underground, il s’agit d’une machine huilée, d’un réseau bien établi, arrivé par surprise, mais qui n’a pas grandi entre les mains d’un squeegee sans ressources. Chaque lien refilé dans une recherche sur Emily renvoie à un commanditaire, un distributeur, un collaborateur qui redonne toujours la même information en copier-coller. Le site EmilytheStange.com lui-même est excessivement vaste et, même en si attardant longuement, il est difficile pour un fureteur novice de découvrir les "clés" et "secrets" d’Emily sous-entendus.

Ce qui est étrange (Strange!), c’est que partout on parle de son intelligence, du message d’Emily, de son humour; mais à quoi celui-ci se résume-t-il? À quelques phrases accrocheuses et juste ce qu’il faut de provocantes pour assouvir les pré-pubères rebelles et les remises en question d’adultes en quête de renouveau identitaire… des "I want you, to leave me alone", "Be all you can’t be", "We’re all strange here", "Just get lost", etc. Parfois ça ressemble à un mauvais épisode d’Addam Family, mais la plupart du temps, c’est plutôt réussi. C’est qu’elle a un propos très éditorial la Emily, et si vous lui demandez quel derrière mériterait d’être botté, "Senior Bush, Duh", répond-t-elle dans une entrevue qu’on peut lire sur le www.crimsonandcherry.com. On s’attache tout de même à ce personnage. Il y a tout un niveau de compréhension qu’on n’avait pas vu depuis longtemps dans les dessins inanimés.

Ne cherchez pas l’auteur d’Emily, il n’y en n’a pas. Il n’y a que les deux illustrateurs et le titre d’auteur des publications revient à Cosmic Debris. Alors à quoi s’attendre d’un livre d’Emily? Plus à un recueil de dessins qu’autre chose. Des illustrations ultra-simples accompagnées de deux ou trois mots, le "message d’Emily". D’ailleurs le Emily’s Book of Strange comporte une trentaine de pages, dont 11 sont affichées sur le site d’Amazon.com… Si vous considérez qu’un dessin prend deux pages, il n’en reste donc plus que quatre ou cinq que vous n’ayez vus sur les sites d’achats en ligne ou encore sur le site même d’Emily… 22,46$ à l’achat, sans même calculer, vous comprenez que ce doit être vachement rentable d’avoir une Emily dans sa vie! Et il va de soit pour la majorité des produits Emily.

L’adolescente de 13 ans (en réalité, elle en a 12, mais elle ment parce qu’elle préfère le chiffre 13…) est de plus en plus populaire et sa ligne de vêtements tout autant. En flirtant avec quelques boutiques branchées, il n’est pas rare d’apercevoir une section "Emily de Strange", incluant les pantalons, jupes, t-shirts, camisoles, bas, boîtes à lunch et, même, gougounes avec têtes de mort! Plusieurs personnalités ont été vues en compagnie d’Emily, notamment Björk, et même Britney Spears! Comme quoi Emily plait à tout le monde. D’ailleurs, à la recherche d’une nouvelle guitariste pour le groupe Hole, Courtney Love avait, parmi ses critères de sélection, celui selon lequel la guitariste idéale devrait aimer… Emily the Strange et les pépites de poulet. La popstar japonaise Hikaru Utada a récemment traduit en japonais les noires pensées d’Emily. Il est facile d’imaginer le succès que remporte cette dernière au Japon. On retrouve d’ailleurs la seule boutique d’Emily à Harajuku, mais Cosmic Debris compte bien les multiplier à l’échelle planétaire, en plus de travailler sur d’autres projets, tels des chansons autres que le thème d’Emily pour éventuellement en faire un disque, et bien sûr, un film d’animation dont le secret est bien gardé… les chats d’Emily ne sortiront pas du sac!

Les articles de mode Emily the strange peuvent notamment être trouvés sur www.emilystrange.com, ou à Ottawa chez Allegro (613-241-6917) et à Montréal chez Scarlette (514-844-9435), Amnesia (514-385-9048) et Fly (514-846-6888).
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L’école des Goules
Il y a les Scouts. Puis il y a "L’École des Goules" d’Emily… Pour résumer, une Goule, c’est un personnage mythique, un démon femelle qui selon les superstitions orientales dévorent les cadavres dans les cimetières…

Il est possible de graduer, et de prouver sa malignité, à l’école des Goules. Comme chez les scouts, pour obtenir sa badge de démérite, il faut commettre certaines actions et bien sûr, les prouver. Voici:

"Loose your mind": Faire quelque chose de fou, le dessiner ou le filmer, puis l’envoyer.

"Broken Heart Club": Ne pas aller à son bal de finissants, se faire briser le coeur et en envoyer des preuves.

"Living Dead": Visiter un cimetière et y prendre des photos, écrire sur notre vie après la mort.

Et ça continue comme ça…

(M.-F. Lettre)

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13 secondes avec Emily

1. D’où viens-tu?
Blackrock… mais ce n’est pas moi qui te l’ai dit.

2. Quand as-tu réalisé que tu étais différente?
Quand j’ai ouvert mes yeux! Mon esprit a suivi et, oui, j’étais étrange.

3. Qu’est-ce qui est si génial dans le fait d’être étrange?
C’est excitant et différent… mais je ne dirais pas que c’est GÉNIAL…

4. L’École des Goules, est-ce seulement pour les filles? Y accepterais-tu des garçons, et sous quelles conditions?
Les garçons deviendront des Goules… sous mon influence.

5. Quelles autres langues parles-tu?
Le Félin est ma langue seconde préférée… mais je connais aussi le "pig latin" (sibecribet libanguage), et duh, le Code Morose!

6. Tu es un modèle pour plusieurs personnes qui n’ont jamais trouvé quelqu’un à qui s’identifier, qu’est-ce que ton influence leur apporte?
ESP. (Emily Strange Power)

7. Raconte-moi une histoire qui t’est arrivée et qui te rend étrange.
Un été, tous mes ongles d’orteils sont tombés, et je les ai donc ajoutés à mes ESPériences – mes poupées Jinx, Thin Lizzy et Snorey & Gorey ont été faites avec des ongles d’orteils – ça fait un bout de temps de ça. Mes ongles ont repoussé noirs… je n’ai plus besoin de les peindre!

8. Tu as déjà dit que le derrière de G. Bush méritait d’être botté, pourquoi?
Parce qu’on a besoin d’une "Army of NONE."

9. À part "être tout ce que tu ne peux pas être" ("Be all you can’t be"), que veux-tu faire quand tu seras grande? Un objectif sur lequel tu te concentres particulièrement?
J’aime faire ce que je fais… pourquoi changer? Je focusse sur l’hocus pocus.

10. Y a-t-il quelque chose que tu n’as pas fait et es impatiente d’accomplir?
Je n’ai pas terminé cette entrevue, mais j’ai hâte!

11. Tu es de plus en plus populaire. Comment réagis-tu de savoir que Britney Spears porte ton visage sur ses seins en silicone?
Je ne crois pas au battage médiatique. Je crée ma propre réalité et ça, ça n’en fait simplement pas partie!

12. Crois-tu être un Harry Potter pour les enfants ordinaires qui ne croient pas aux pouvoirs magiques?
Je répondrais aux enfants "tibhey bibettiber biblieve" (feriez-mieux d’y croire!)… Parce que notre imagination est souvent la seule chose que nous avons! Qui est Harry Potter? Il a l’air cool…

13. Crois-tu qu’un jour tu ne seras plus étrange? Pourquoi?
Oui… je suis d’accord… Pourquoi?

(Propos recueillis par Marie-France Lettre)