Le cheveu: 12 stories : Au poil!
En bataille, raides comme des baguettes, en tresses ou en brosse, les cheveux occupent une place importante dans nos vies. Une expo dénoue nos rapports sociaux et personnels avec cette partie importante de notre corps.
Il y a des sujets qui, malgré leur importance, sont peu discutés par l’histoire. Par exemple – même si cette activité a bien dû préoccuper l’humanité -, rares sont les ouvrages qui traitent des excréments et de la manière d’en disposer au cours des siècles. L’histoire a souvent fait le choix des grands hommes et des sujets nobles. L’histoire de l’art n’est pas à l’abri de ce type d’aveuglement. Même si les cheveux et les poils occupent une place prépondérante dans les représentations, peu nombreux sont les ouvrages ou articles à parler de la symbolique qui leur est attachée. En peinture ou en sculpture, combien de corps de femmes nus, totalement glabres (aux aisselles et au pubis sans poils), ont – par transfert de sens et déplacement du désir – une longue et abondante chevelure? Leur corps devenant alors encore plus sexué, longue plage de chair encadrée de deux larges bosquets de poils. Et combien d’artistes ont fait du cheveu un objet de fétichisme? Pensons à Klimt, Rubens, Picasso…
À la Galerie Espace (4844, boulevard Saint-Laurent), une expo montée par Michel Archambault traite de l’usage des cheveux en littérature et en art contemporains. Une petite présentation qui vaut le détour. Elle pointe les différents rituels et coutumes qui ont les cheveux (ainsi que les poils) comme prétexte. Longs, crépus, fins, rasés, ils évoquent un univers où le public et le privé se tressent et s’emmêlent. Dénouons le propos.
Parmi les oeuvres à remarquer, la série d’images de salons de barbier de Pierre Gauvin. Celle-ci aurait gagné à être présentée dans un format plus grand. Les photos auraient ainsi pu montrer avec plus de force leur grande qualité de composition. Néanmoins, elles documentent avec grande justesse un univers masculin très réglé mais où le code suprême tient avant tout de la disparition du cheveu, du gommage de son existence. La masculinité a été longtemps énoncée comme l’absence d’artifices. Pourtant, elle est un code culturel au même titre que la féminité. Les rasoirs du barbier participent à cette mythologie d’un univers masculin sans flaflas. Cet outil est alors comme un symbole de la parole masculine qui sait trancher et ne pas s’attarder, ne parlant que des vraies choses. À l’opposé de l’univers de la coiffure féminine où la codification du corps doit se montrer: c’est le monde de la mode, de l’extravagance, de la parole sans fin, en boucle… Lentement remplacé par le salon de coiffure (même pour les hommes), le salon de barbier (de quartier) est chez Gauvin presque comme une relique du passé. Ses photos prennent l’allure de documents d’une autre époque. Divers produits de soins de marques inconnues ajoutent à ce sentiment d’un univers révolu.
Brian Griffin (dont vous pouvez consulter le site personnel à l’adresse suivante: www.briangriffin.co.uk) est un photographe de mode et un réalisateur de clips reconnu. Il a travaillé pour Elvis Costello, Depeche Mode, Pan Sonic (anciennement Panasonic)… Il est aussi un cinéaste original. Le petit film Curl, présenté ici, est un croisement de l’art de Tati et celui de Fellini. Cela débute par l’image de la queue d’un petit chien qui s’agite alors qu’une main caresse son poil. Le ton est donné. Les poils offrent sur le corps des zones d’arrêt pour le plaisir et aussi parfois pour le déplaisir… Ici aussi, univers masculin et féminin s’opposent. La boucle féminine – accroche-coeur, guiche – et le cheveu bien peigné des garçons (comme par la main d’une bonne maman) se confrontent dans un écho d’une grande originalité. Un récit dont le héros n’est autre qu’un épi rebelle!
Diana Lynn Thompson propose un livre d’artiste qui n’est certes pas tout à fait original dans sa forme (alternance de photos et de pages écrites à la main, le tout faisant penser à un journal personnel). Néanmoins, les cheveux et les poils y disent toute leur force émotive. L’artiste parle de la sensualité qu’elle a trouvée dans la pilosité des hommes qui l’ont entourée, celle de son frère et de ses amants, et même celle de son propre fils.
Michel Archambault offre quant à lui des photos qui résistent au déchiffrement. Dans The Crystal, les formes exposées font penser à des têtes et évoquent un monde de mystère. Amulettes pour rites vaudous? Symbole du souvenir qui ne donne pas d’image précise des traits des êtres?
Il faudra aussi prêter attention au récit audio d’Helena Goldwater qui nous propose de faire des expériences sur la texture des cheveux; au texte de Jocelyn Philibert qui nous raconte comment son chien ne le reconnaissait plus une fois qu’il s’était rasé la tête…
Archambault démontre qu’une expo plus imposante sur le sujet mériterait d’être montée.
Jusqu’au 2 septembre
À la Galerie Espace