Sébastien Cliche : La peur aux trousses
La culture de la peur fait l’affaire de qui? À la Galerie Skol, Sébastien Cliche nous parle de cette obsession de l’agression et de la catastrophe qui hante nos sociétés.
Vous êtes en danger. Vous ne le savez pas, mais vous l’êtes. C’est en tout cas ce que les médias nous disent et nous répètent ad nauseam. Et c’est un phénomène qui n’est pas nouveau. Depuis la fin du XIXe siècle, les médias ont joué le jeu du pouvoir et ont mis en place une structure de peur qui fait bien l’affaire de l’état et de la police, qui peuvent alors poser en tant que forces protectrices et non en tant que forces répressives. Depuis plus d’un siècle, journaux jaunes, mais aussi romans populaires et romans policiers, ainsi que par la suite radios et télévisions nous ont décrit avec complaisance meurtres et agressions…
À la Galerie Skol, l’artiste Sébastien Cliche nous parle de ce phénomène d’angoisse qui hante nos sociétés et qui frôle la parano. Avec une expo intitulée Accidents de la vie courante, il met en évidence cette culture de la peur qui nous étouffe. Cliche nous montre, par exemple, des images d’hommes épiant par une fenêtre l’intérieur d’une maison, l’un d’entre eux est même masqué… Comment ne pas avoir envie de se barricader chez soi après avoir vu une telle image? Dans d’autres photos, une femme et un enfant ont les mains entourées de bandelettes, victimes d’une agression ou d’un accident mystérieux… Des phrases placées sur les murs, et qui sont toutes aussi angoissantes les unes que les autres, ponctuent l’espace de la galerie. Vous pourrez y lire des énoncés aussi énigmatiques que: "N’attirez pas l’attention sur vous en vous comportant comme une proie facile"!?! Nous pourrions nous croire revenus à une époque pas si lointaine où on mettait en garde les femmes de ne pas se vêtir de vêtements trop courts car elles risquaient de provoquer le désir des hommes, ce qui se terminait évidemment vers le viol… À lire ces informations, nous pourrions vraiment croire que le monde est plein de dangers.
Pourtant, nous disent les sociologues, la criminalité n’a pas été aussi basse depuis longtemps. Ce qui est peut-être dû au vieillissement de la population ou à la croissance économique et non à une efficacité de la répression policière ou même à l’éducation. Il n’en reste pas moins que les crimes sont moins fréquents… Les sociologues nous rappellent aussi comment la violence vient bien souvent de gens que nous connaissons. Violences conjugales, agressions sexuelles ou psychologiques par un parent, un proche de la famille ou un ami sont plus à craindre que la violence venant d’un mystérieux étranger au coin de la rue ou entrant chez nous en plein milieu de la nuit… Alors?!?
Voilà une exposition qui questionne judicieusement la représentation de la catastrophe et de la violence dans nos sociétés. Le phénomène prend même de l’ampleur. De nos jours, on va jusqu’à décrire les objets qui nous entourent et nos espaces privés comme potentiellement porteurs de dangers. Une autre phrase de Cliche évoque bien cette peur de tout et de rien: "Les Américains déboulent l’équivalent d’un escalier de 5600 kilomètres chaque année"!
Accidents de la vie courante ne manquent pas de contenu. Visuellement, il est vrai, l’esthétique générale date un peu, se rapprochant de l’esthétique sociorelationnelle développée il y a près de 10 ans. Cliche manie toutefois son propos avec intelligence et arrive à lui donner plus qu’une pertinence théorique. La mise en place dans la galerie de seaux de plastique avec une bâche, comme si une catastrophe venait de survenir, fait vivre au spectateur l’état de peur souhaité.
Toujours chez Skol, signalons l’oeuvre d’un autre artiste, petite curiosité qui attend le spectateur à la sortie. Alain Fortier y a installé ce qui semble être des trophées de chasse. Mais lorsque le spectateur regarde plus attentivement les pièces, il s’aperçoit qu’il s’agit de sculptures de pénis en érection, dans toutes les variétés d’angles possibles, placés sur de petits panneaux de bois. Ils ont une étrange ressemblance avec ces têtes d’autruche placées sur les murs d’un certain bar branché de Montréal… J’ai toujours trouvé que ces têtes d’animaux, au cou dressé, étaient plus qu’exotiques et énonçaient bien les activités promises par ce type de bar. Me voici légitimé dans mon interprétation.
Jusqu’au 27 septembre
Centre des arts Skol
Voir Calendrier Art visuel
À signaler
Avis aux artistes: la Ville de Montréal lance un concours pour la réalisation d’une oeuvre d’art publique. Cette création sera installée dans le parc Marguerite-Bourgeoys (arrondissement Sud-Ouest) et soulignera le 350e anniversaire de l’arrivée de cette religieuse au pays, de même que le 350e anniversaire de la Grande Recrue, qui a réuni nombre d’individus prêts à partir pour le Nouveau Monde. Les artistes intéressés peuvent se procurer le document d’information au (514) 872-1151 ainsi que sur le site Internet à l’adresse suivante: www.ville.montreal.qc.ca/culture.