Le Mois de la photo : L’image en otage
Les photos d’actualité sont omniprésentes dans notre vie quotidienne. Mais seront-elles de justes témoins de notre époque? Le 8e Mois de la photo est l’occasion d’y réfléchir.
Images de la grande crise de 1929 par Dorothea Lange, instantanés effectués par Robert Capa durant la guerre d’Espagne ou le débarquement de Normandie en 1944, photos de Nick Ut immortalisant une jeune Vietnamienne brûlée au napalm en 1972: l’actualité et la photographie ont entretenu des liens serrés. Mais qu’en est-il de nos jours? La 8e édition du Mois de la photo présente un panorama des stratégies adoptées pas les artistes et les photo-journalistes pour conserver aux images contemporaines cette capacité à parler avec force de l’événement, à "faire oeuvre d’Histoire". Voilà ce à quoi nous convie l’historien de l’art Vincent Lavoie, commissaire de l’événement.
Cette problématique hante la pratique photographique et demandait en effet qu’on y réfléchisse un peu. La recherche intellectuelle de Lavoie est à cet égard tout à fait nécessaire. À travers une vingtaine d’expos, le spectateur pourra juger des diverses tactiques de l’image contemporaine. Et un catalogue, avec des textes de spécialistes, soutient l’entreprise de réflexion. Lavoie y expose avec justesse le fait qu’une image n’est jamais vraiment seule, qu’elle en cite toujours une autre sur laquelle elle s’appuie pour construire son effet. Cette idée trouve d’ailleurs sa démonstration dans les images d’Adi Nes à la Galerie de l’UQAM. Celui-ci, citant des images aussi connues que la Cène de Léonard de Vinci, nous dit comment le temps présent existe à l’aune des exemples des récits anciens.
On notera aussi quelques écueils, autant dans ce texte que dans le propos général de la manifestation. S’il y a tactique de l’image, c’est qu’il y a aussi guerre opposant l’autonomie de l’artiste au contrôle des représentations par le pouvoir. Toutes les images marquantes (peintures ou photos) de l’Histoire n’y sont pas entrées de la même manière. Certaines sont plus contestataires que d’autres. Beaucoup ne furent que des reprises à peine camouflées de la propagande d’État. Et cela, ce Mois de la photo ne l’explicite pas assez. Quant à l’idée proposée par Lavoie qui veut que "le principe selon lequel un événement, pour devenir historique, doit tenir dans l’instant, a été introduit par la photographie", elle est une vision trop technique de l’histoire des images. Elle est démentie, ne serait-ce que par la peinture d’Histoire de la seconde moitié du 18e siècle.
Hors cadre
Comment éviter la récupération, la banalisation, la censure ou la simple mise à l’écart par les instances du pouvoir et par les médias? Voilà les vraies problématiques auxquelles sont confrontés les photographes actuels.
Ce n’est pas la spécificité du médium qui détermine son usage. Je ne crois pas non plus que la véritable fonction de la photo, son usage principal, la raison de sa prolifération depuis son invention au début du 19e siècle, soit réellement de figer le temps et de l’immortaliser. Au-delà de cette fonction de commémoration et de nostalgie se cache un usage plus grave: sa récupération par la classe dominante. Les images ont toujours été soumises à des tentatives de contrôle par ceux qui ont le pouvoir (État, groupes religieux, bourgeois…). Notre époque n’y échappe pas.
Alors? La question n’est pas celle du médium mais celle du lieu de diffusion. Et c’est en fait la conclusion la plus forte qui émerge de cette 8e édition du Mois de la photo.
Marge photographique
La galerie d’art et les divers lieux d’exposition en marge des musées pour grand public seraient-ils devenus des refuges importants pour les images contestataires et pour une histoire parallèle? C’est certainement ce que pointe l’expo de Benoit Aquin et Patrick Alleyn à la maison de la culture Côte-des-Neiges. Le diaporama Ordre public / Désordre mondial donne à voir une série d’images prises lors de diverses manifestations antimondialisation avec en voix off un extrait du procès de l’activiste montréalais Jaggi Singh. Publiées dans quelques journaux, ces images vite oubliées atteignent ici une fonction de remémoration d’une absolue importance. Dans le même ordre d’esprit contestataire, signalons les images de Carole Condé et Karl Beveridge. Elles donnent à voir une critique des liens entre politique et médias. L’arène politique y est décrite comme une sorte de théâtre avec metteur en scène. Il faut aussi voir, chez Quartier éphémère, les images (truquées) de Jiri David, montrant des politiciens pleurant. Larmes de crocodile? Larmes étonnantes dans des images politiques si contrôlées, et qui causent un sentiment d’étrangeté.
Je ne peux en dire autant de l’expo présentée au Marché Bonsecours. Les photos de la guerre en Afghanistan de Paul Seawright sont simplement esthétisantes. Le vidéo (non sous-titré en français) de Phil Collins, donnant à voir un agent immobilier saoul en train de parler du 11 septembre, semble vouloir soutenir cette idée que le réel échappe à la compréhension ou aux récits historiques, ce que contredisent bien évidemment les images d’Adi Nes. Et les photos de Lidwien van de Wen exhibant le parlement de Berlin manquent totalement de caractère…
Info: www.moisdelaphoto.com
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Crédit: Benoit Aquin / Recto Verso
3e Sommet des chefs d’État des Amériques, Québec, 20 avril 2002
Les Montréalais Benoit Aquin et Peter Alleyn documentent la lutte sociale et sa répression lors de manifestations antimondialisation. Ces images, visibles dans la presse écrite et décrivant l’actualité, meurent-elles après usage? Avec un peu de chance, elles trouveront refuge dans les galeries d’art et les centres d’artistes.
Crédit: Monique Bertrand
Un devoir d’effroi, 2001, vue de l’installation
La Québécoise Monique Bertrand propose à Quartier éphémère une installation monumentale où le spectateur se sentira autant voyeur qu’otage d’un système de représentation carburant au spectaculaire. Un enfant handicapé d’un bec de lièvre y est éclairé par des ampoules éblouissantes, et même brûlantes lorsque le spectateur s’en approche trop…
Vladimir Poutine, de la série No Compassion, 2002
Crédit: Jiri David
Les politiciens pleurent-ils? Le Pragois Jiri David souligne dans ses images truquées comment les images des politiciens sont contrôlées. L’absence de tristesse dans les sphères du pouvoir devrait-elle nous rassurer à l’égard de ceux qui nous gouvernent?
Crédit: Adis Nes
Untitled, 1995, avec l’autorisation de la Dvir Gallery de Tel-Aviv et du Musée d’art contemporain de San Diego
L’Israélien Adi Nes interroge une certaine idée de la masculinité, en particulier celle qui se consolide dans l’armée et la guerre. Ici, un soldat mourant comme le Christ est maquillé pour être encore plus héroïque et plus photogénique…