Village global:Les années 60 : Les années lumière
Les années 60 ont-elles été si marquantes? Une expo majeure au Musée des beaux-arts permettra de juger de l’apport essentiel à la modernité de cette décennie de luttes contre les conservatismes de tous ordres, qui ont permis au monde actuel de s’élaborer sur de grandes valeurs de justice, de partage, d’ouverture à l’autre.
Le Québec que nous connaissons, dans lequel nous vivons et qui hante nos rêves et questionnements, ce Québec moderne est né dans les années 60. Le Montréal d’aujourd’hui, par exemple, a décidément été façonné à cette époque: Place Ville-Marie, Place Bonaventure, Place des Arts, Habitat 67, dôme géodésique de Buckminster Fuller et Shoji Sadao sur l’île Sainte-Hélène, réseau du métro, immeuble d’Hydro-Québec, boulevard René-Lévesque… Parlant d’Hydro-Québec, cette société d’État apparaît alors (à la suite de la nationalisation de l’électricité), tout comme plusieurs autres réformes et nouvelles institutions telles que le Musée d’art contemporain, l’UQAM et les cégeps… Et le phénomène est occidental. Ont alors émergé ici et ailleurs toute une série de révolutions sociales et même sexuelles sans précédent: loi canadienne sur le divorce (auparavant presque impossible à obtenir!), pilule contraceptive, mouvement d’émancipation des femmes, révolte des Noirs (Martin Luther King, Malcolm X) et des gais (Stonewall), décriminalisation de l’homosexualité par le bill Omnibus de 1969 parrainé par Trudeau, remise en question de la famille nucléaire à travers les communes… Durant ces années, la liste des changements au quotidien est longue. C’était l’époque où l’on critiquait de partout l’idéologie dominante et où l’on dénonçait l’aliénation des citoyens par le pouvoir et l’argent. L’ennemi était alors l’État et les riches; de nos jours, ce sont plutôt les pauvres, selon certains, qui profiteraient du système…
Voilà pourquoi l’expo Village global: Les années 60, montée au Musée des beaux-arts par le conservateur de l’art contemporain Stéphane Aquin, était une nécessité. Courez voir cette expo. Ce n’est pas un événement pour baby-boomers nostalgiques en mal de jeunesse, mais bien une tentative de comprendre ce que cette grande époque nous a laissé comme héritage et rêves à poursuivre.
Cette époque est encore une référence dans la population en général. Mais est-elle si bien comprise? Plusieurs dénoncent les utopies qu’elle aurait représentées, même si certains feux allumés il y a 40 ans ne se sont jamais éteints. Par exemple, phénomène ô combien rare, les jeunes d’aujourd’hui écoutent encore la musique que leurs parents adoraient, le rock qui a pris son envol dans les années 60 et qui a continué à se développer dans la première moitié des années 70: les Beatles, les Rolling Stones, les Doors, Pink Floyd, Bob Dylan et même David Bowie sont encore adulés par les jeunes d’aujourd’hui. Une salle complète du Musée est d’ailleurs consacrée aux pochettes de disques et affiches de musique de l’époque. Même la voiture de Janis Joplin fait partie du voyage. Mais cela signifie-t-il pour autant que nous comprenons le secret de cette ère sans précédent? Comment a-t-elle élaboré sa révolution? Simple question de nombre, la jeunesse formant alors la plus grande partie de la population?
La révolution formelle
Les années 60, c’est avant tout une révolution de la forme, de la manière de parler, de dire le monde, de remettre en question les rapports sociaux, un passage du "vous" distant et général au "tu" qui interpelle l’autre d’une manière intime. Cette expo réalisée avec un grand souci du détail pointe cela avec justesse. Il faut ici parler de la manière de présenter les divers objets d’art et artefacts. Les concepteurs de l’expo ont pris le parti de montrer cette décennie d’une façon qui rappelle beaucoup celle qui prévalait à l’époque d’Expo 67. Multiples écrans de télévision, objets accrochés au plafond, décloisonnement entre oeuvres d’art et objets de la vie: tout cela reprend avec pertinence la manière de montrer le monde dans les années 60. Cette expo rend aussi compte de la révolution des matériaux de l’époque: chaise gonflable en plastique, robe en papier (donc jetable après usage), oeuvres en plexiglas ou en acier inoxydable… Une révolution de la manière de voir le monde. Elle est parfaitement exemplifiée par cette notion de "village global" de Marshall McLuhan, que Stéphane Aquin reprend très justement comme angle de lecture. Soudainement, la planète est devenue plus petite.
Dès l’entrée, le ton est donné avec un film nous montrant le décollage d’une mission Apollo ainsi que la réplique d’un spoutnik. Le Socle du monde de Piero Manzoni, dans la deuxième salle, appuie cela avec force. Avec son titre à l’envers, cette oeuvre nous oblige à voir le monde sens dessus dessous, à prendre conscience que c’est la planète elle-même qui devient en entier oeuvre d’art, reposant sur ce simple petit piédestal juste devant nous! Renversement majeur.
Ne croyez pas que cette expo soit naïve dans son approche. Stéphane Aquin n’a pas passé sous silence les moments plus angoissants de cette décennie: "La section sur la fragmentation du sujet est capitale. Dans la quête de l’individualisme, l’individu a été laissé à lui-même, commente-t-il. Déjà dans les années 60 émerge une forme d’introspection inquiète." Au-delà d’une époque peace and love apparaît le portrait d’une ère d’intelligence et de réflexion profonde sur le monde. Le texte du catalogue et ses entrevues avec des acteurs majeurs de la décennie (Daniel Cohn-Bendit, Yoko Ono, Michel Tremblay) vous permettront de compléter votre propre réflexion sur ce grand moment de notre histoire.
Jusqu’au 18 janvier 2004
Au Musée des beaux-arts
L’art comme outil de guérison
Les Impatients persistent et signent. Ce Centre d’expression et d’interprétation de l’art thérapeutique et de l’art brut continue son important travail qui consiste à "rompre l’isolement dont souffrent les personnes atteintes de troubles psychiatriques et à les valoriser par la pratique de l’art".
Pour ce faire, les Impatients ont demandé au célèbre photographe Gabor Szilasi d’effectuer une série de photos afin de rendre compte de leurs activités. Cela donne Noir et blanc sur les Impatients, une expo originale où l’humanité l’emporte sur la maladie. Dans une trentaine de portraits, Szilasi montre avec un dispositif très simple, digne des photos de Diane Arbus (frontalité descriptive presque déroutante), des êtres au regard d’une incroyable présence. À voir.
Jusqu’au 9 novembre
100, rue Sherbrooke Est, 4e étage