Martin Bureau – Étirer le temps (avant que ça saute) : Les francs-tireurs
Arts visuels

Martin Bureau – Étirer le temps (avant que ça saute) : Les francs-tireurs

Pour son projet Étirer le temps (avant que ça saute) présenté à l’Oil de poisson, le peintre MARTIN BUREAU s’est entouré du vidéaste JEAN-FRANÇOIS DUGAS et du musicien OLIVIER LANGEVIN. Intense.

L’installation est spectaculaire. Politisée. Elle frappe à la juste mesure de ce qu’elle entend dénoncer: la guerre et la finance; ses acteurs. Sans détour, mais efficacement. Sur un écran, quelques secondes du parcours d’un missile qui explose; court trajet d’une ogive repris en boucle. Une boucle de trois minutes pendant laquelle la même image se répète et vient se nicher dans son double peint sur la surface immobile. Surface couverte de bandes horizontales rappelant sans équivoque le drapeau américain… Sur l’autre écran, un montage de différentes images vidéo, des chiens de traîneau, des scènes urbaines croquées à New York et un manège qui tourne et se fond aux figures initiales. Autant d’images qui deviennent le tableau dans le tableau en se superposant à celle du peintre en train de peindre. Mise en abyme du geste de Bureau. Un dispositif rebattu, mille fois utilisé, mais que l’artiste parvient toujours à traiter avec à-propos. Le peintre se met en scène, affiche sa présence, nous rappelant que même s’il partage son espace avec la vidéo – qui trône ici en reine -, il s’agit encore de propos sur la peinture.

Les écrans nous martèlent avec une esthétique proche de celle du vidéoclip (les meilleurs quand même!). Bureau en a d’ailleurs réalisé plusieurs (Fred Fortin, WD-40 et Les Chiens, notamment). Les images numériques ont été travaillées et retravaillées, décomposées et mises en boucle par Jean-François Dugas (Ravage/Territoires vidéo). À l’oeuvre, sans aucun doute, le déploiement d’une virtuosité de part et d’autre. Tout est d’une grande qualité. La peinture de Bureau est égale à elle-même. Les images vidéo de Jean-François Dugas fusionnent avec l’écran au millimètre près. Elles dialoguent avec la peinture et génèrent du sens en complétant parfaitement les tableaux. Les bandes sonores d’Olivier Langevin, musicien de la scène rock (Galaxie 500, Fred Fortin, Gros Mené) collent aux images. Elles en sont presque l’illustration même. Tout cela fonctionne, même si les bandes sonores auraient peut-être gagné, dans un monde idéal, à être diffusées directement en salle plutôt que dans des écouteurs.

Étirer le temps tente d’intégrer la durée et le mouvement dans la peinture, par définition immobile et fixe. Une opération qui lui est étrangère, quoique ce genre d’"impureté" ne scandalise plus personne. N’est-ce pas un vieux fantasme (ou un éternel problème) de la peinture que d’y inscrire du temps? Comme l’explique Bureau, "il y a dans la peinture une dualité entre mouvement et fixité". Avec pour résultat que devant ces deux écrans, on est captivé, mais aussi captif. Au passage, on perd une part de cette liberté si particulière à l’objet plastique qui n’impose aucun temps d’attention prédéterminé. La peinture ainsi martelée et battue par la luminosité quasi incessante des images vidéo hyperactives y laisse aussi une part de sa sensualité. On reconnaît ainsi que c’est ce qui rend encore possible la peinture. À voir pour toutes les questions que cette proposition soulève, pour la qualité du travail collectif. Incontournable pour les fans de Bureau…

Jusqu’au 16 novembre
À l’Oil de poisson

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Bloc-notes
Les affiches ne meurent jamais
On a eu l’occasion de voir récemment plusieurs expositions d’affiches à Québec. C’est maintenant le Lieu qui accueille, jusqu’au 2 novembre, une exposition de 14 affiches (de très grands formats) réalisées lors d’un projet d’échange franco-québécois. Une exposition "en écho à Régis Debray, qui disait qu’il y a dans ce monde "trop d’image et très peu de chair"". À l’invitation de l’éditeur bordelais, Didier Vergnaud de Bleu du ciel, Patrick Altman, Nicolas Baier et Emmanuel Galland, Mathieu Beauséjour, Benoît Bourdeau et Marc Leduc, Richard Martel et Carlos Ste-Marie ainsi qu’Emmanuelle Léonard se sont joints aux artistes français, notamment Tatiana Trouvé, Valérie Jouve, Delphine et Michel Herreria. En marge de l’affiche traditionnelle ou autopromotion? Notez également que le Lieu prolonge jusqu’au 27 octobre prochain le Salon du livre du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ), salon qui avait lieu dans le cadre du Colloque du regroupement sur les pratiques d’édition des centres d’artistes. Excellente occasion de découvrir, de consulter ou d’acquérir leurs publications récentes.

Brigitte Radecki chez Esthésio
La pratique artistique de Brigitte Radecki occupe la scène montréalaise depuis plusieurs décennies. Stéphane Aquin écrivait en 1998 qu’il s’agissait là d’une critique "de certains cultes de la modernité: l’expression de soi et le formalisme". Ces abstractions calligraphiques aux références littéraires explicites sont, malgré des apparences de "spontanéité et de vitesse", peintes avec minutie et chaque espace entre les lignes est comblé de fins coups de pinceau. Il faut voir entre autres deux très grands formats absolument saisissants et les dessins que Radecki expose pour la toute première fois. Jusqu’au 2 novembre prochain chez Esthésio.