Yves Gaucher au MAC : Couleurs musicales
Mort en 2000, YVES GAUCHER a élaboré une délicate oeuvre plastique. Le Musée d’art contemporain fait le point sur celui qui a trouvé son inspiration visuelle dans la musique contemporaine.
Il y a des oeuvres comme ça qui vous restent dans la tête, comme gravées. Même produites il y a longtemps, elles sont d’une brûlante actualité. Elles vous semblent soudainement parler avec intensité de l’esprit visuel du monde actuel. Simple effet rassurant de validation du présent?
La première rétrospective de l’oeuvre d’Yves Gaucher depuis son décès démontre d’une manière incontestable ce que le monde de l’art québécois savait déjà: Gaucher a été un graveur exceptionnel. Et je dois dire ma totale fascination pour son oeuvre sur papier et en particulier pour sa série En hommage à Anton Webern, réalisée en 1963 à la suite de l’audition (en novembre 1962) d’un concert d’oeuvres du célèbre musicien autrichien. Gaucher y atteint un niveau d’orchestration visuelle remarquable. S’y énonce un équilibre dans l’asymétrie, un ordre dans le chaos qui dépasse toute description.
Prenons le temps d’expliquer un peu comment une oeuvre abstraite peut tenir visuellement la route, bien que ce type d’art ait encore auprès du grand public une réputation d’infranchissable hermétisme. Étrange paradoxe, l’art abstrait ayant souvent été revendiqué par les artistes modernes comme une forme d’art accessible à tous, ne demandant pas un savoir sur la mythologie, l’histoire, la religion, les symboles iconographiques les plus divers…
Plusieurs historiens de l’art ont vu dans cette série inspirée de Webern une forme de transposition de la musique, une sorte de partition réinventée. Je vois surtout dans ce détour (et que l’on n’entende rien de péjoratif dans ce terme!) par la musique une permission de déconstruire, de parcelliser l’espace visuel unifié, celui affirmé par la Renaissance. L’image ici ne se pense plus comme un tout bien organisé. La surface de l’oeuvre chez Gaucher devient digne du scintillement d’un ciel étoilé. Cela est très proche des images actuelles, atomisées: exemple simple, nos écrans de télé (par exemple lors du Téléjournal) ou d’ordinateur sont constitués de plusieurs fenêtres. L’hommage à Webern parle de cet éclatement de l’image contemporaine.
Cette série a représenté pour l’artiste un moment-clé de sa démarche. Dans le catalogue de l’exposition, Jean-Jacques Nattiez cite Gaucher qui expliquait avec justesse: "C’est dans les gravures de Webern que j’ai enfin réussi à atteindre au processus réductif de telle façon que je sentais qu’il représentait mon début comme artiste, ma contribution en tant qu’artiste." Quel début! Et l’expo du MAC donne à voir une grande quantité de ces autres impressions en relief, dont Fugue jaune, Pli selon pli, Espace activé… L’espace visuel y vibre par de petits signaux.
Je dois avouer que l’oeuvre picturale de Gaucher m’apparaît quant à elle plus inégale, l’original y côtoyant le banal. Qu’un artiste qui a réalisé des oeuvres aussi subtiles ait pu créer l’assemblage intitulé Jaune, Bleu & Rouge IV (1999), simple juxtaposition de trois grands carrés de couleur, me surprendra toujours. Là (avec quelques tableaux composés de bandes horizontales réalisés en 74-75), l’oeuvre de Gaucher se confond avec les pièces les moins réussies de Molinari. Mais bon, même les plus grands ne sont pas à l’abri d’une recherche plastique sinueuse! Il y a toutefois des pièces telles que la série des Tableaux gris, qui nous montrent comment Gaucher savait composer la peinture autant qu’une gravure.
Pour faciliter notre immersion dans l’univers visuel de Gaucher, deux importantes galeries montréalaises ont emboîté le pas au MAC. René Blouin met à l’honneur une série de tableaux, tandis que Roger Bellemare offre ses cimaises à des oeuvres sur papier. Chez le premier, notons une formidable acrylique sur toile, Étude pour ER-CHAR, où une forme rouge semble dépasser les limites de l’espace pictural. Chez le second, il faut aller admirer la série de trois dessins à la mine de plomb (Sans titre), une prouesse de simplicité.
Jusqu’au 11 janvier
Au Musée d’art contemporain
Jusqu’au 15 novembre
À la Galerie René Blouin
Jusqu’au 8 novembre
À la Galerie Roger Bellemare