Go Pink de Gabriel Routhier : Un homme rose
Le graveur GABRIEL ROUTHIER expose sa production récente à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval. Vastes espaces colorés, corbeaux et figures humaines émergent de l’étendue des possibles du champ numérique.
Dans le monde de la production de nouvelles images, en voilà une hautement singulière, très pertinente, émouvante. Go Pink regroupe sept impressions numériques de Gabriel Routhier qui partagent l’espace de la galerie avec des photographies de Louise Néron reprenant des animaux de porcelaine anglaise associés à des expressions populaires. Mais ce sont les impressions numériques de Routhier qui ravissent, qui éclatent dans l’espace en diverses nuances de rose. Les champs de couleurs en aplat côtoient une iconographie qui s’inscrit dans le prolongement du travail de Routhier où sont mises en scène des figures humaines ou animales. Comme dans les oeuvres de la série Le Livre d’Hervé présentée à la dernière Manif d’art et, bien avant, celles présentées chez Madeleine Lacerte. Dans Go Pink, des silhouettes d’abord faites à la machine à coudre, "fabriquées à la main", ont ensuite été numérisées, puis intégrées aux compositions. Ce sont des personnages sans peau, des écorchés fragiles, presque transparents. Les échos de cette iconographie donnent a posteriori une touche plus grave à ce qu’annonçait au départ l’allégresse des couleurs.
Ce qui fonctionne aussi à merveille ici, ce sont les impressions laminées sur des supports très minces donnant aux images un caractère techno tout à fait à propos. Minimales, presque dépouillées, les impressions conservent quelque chose d’aérien et de léger qui prend la relève de la conception numérique. Quoiqu’on devine une iconographie exclusivement masculine, l’intérêt de cette production dépasse l’anecdotique ou le récit strictement individuel. "Les figures humaines, laissées à l’état d’ébauche, incarnent une pluralité d’individualités", écrit Catherine Blanchet dans le communiqué de presse. L’omniprésence des corbeaux mise parfois en relation avec l’humain permet d’évoquer différents registres, d’ouvrir sur les rapports entre le matériel et l’immatériel, "de jouer sur deux plans", comme l’explique l’artiste. On le sait presque d’instinct, le corbeau est un "animal conçu dans la littérature comme une représentation de l’âme", ainsi que le rappelle encore Catherine Blanchet.
On est subjugué devant ces champs de couleurs. Emporté par ces étendues, comme autant de paysages potentiels sur lesquels elles ouvrent: "Je voulais que cela soit proche de la peinture", poursuit Gabriel Routhier. Loin des évidences et de la facilité, cette production dépasse les stéréotypes en matière de création par ordinateur. "Ce n’est pas la technique qui compte, mais le résultat", explique Routhier. Une affirmation qui vaut autant pour la gravure sur bois, qu’il pratique depuis 15 ans, que pour un travail fait par ordinateur. "Avec Photoshop, on peut faire que de la technique aussi […]. Il faut la dépasser. Oubliez ça… Il faut s’amuser et avoir une grande liberté." Gabriel Routhier a une production soutenue d’estampes. La technique, il connaît. En mars dernier, il remportait le prix Artiste professionnel du concours Estampes 2003 de Loto-Québec. Il travaille actuellement une nouvelle série de gravures sur bois. Une suite qu’on pourra voir chez Rouje en mai prochain. D’ici là, courez vite voir ces nouvelles images.
Jusqu’au 16 novembre
À la Galerie des arts visuels de l’Université Laval
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Contingents de Rafael Sottolichio chez Lacerte
Les contingences de l’actualité amènent ce commentaire sur l’exposition des huiles récentes de Rafael Sottolichio dans ce court texte… Mais sachez que ce premier solo à Québec de l’artiste montréalais d’origine chilienne répond aux attentes. Autoroutes, bungalows, portraits, la vingtaine de toiles exposées chez Lacerte est probablement un des meilleurs crus qu’ait produits l’artiste depuis ses débuts. Des couleurs vives, du rose (c’est dans l’air du temps!) filent à 100 km à l’heure. Tout cela transporte. De la même mouture que les peintres Martin Bureau et Marc Séguin qui savent nous convaincre, toujours et encore, de la pertinence de la peinture. À voir, jusqu’au 10 novembre chez Lacerte.
Troc/traque d’Olga Kessileva à la Chambre blanche
Autre travail qui convoque la technologie. Ici, les nouveaux médias. Olga Kessileva, artiste franco-russe, présente deux installations vidéo à la Chambre Blanche. Une première sur l’identité mettant en parallèle son portrait et ceux de gens rencontrés dans le sud de la France, à Dakar, au Pakistan, avec qui elle a interchangé ses yeux par le truchement de l’ordinateur. La seconde traite, tel un duel, des rapports entre l’Occident et le tiers-monde. S’y fondent et se superposent sur deux écrans translucides des images des forces policières lors de la rencontre du G8 à Gênes et une fête à Dakar. Olga Kessileva est une des artistes russes les plus connues de sa génération. Elle enseigne les nouveaux médias à la Sorbonne. À voir à la Chambre blanche, jusqu’au 16 novembre prochain.