Centre canadien d’architecture : Faire tomber les murs
L’architecture, c’est bien sûr plus que la création de bâtiments-monuments. Au Centre canadien d’architecture, une expo intitulée Sortis du cadre parle de ces années 70 où les architectes voulaient repenser la fonction de leur travail dans le tissu social.
Disons-le sans ambages: même si on construit beaucoup à Montréal ces temps-ci, la majorité des projets architecturaux sont d’une insipidité aberrante. Condos par-ci, condos par-là… Pas vraiment de projets (à quand une nouvelle rue piétonnière?) qui rendront plus agréable à tous la vie dans cette ville. À Montréal, il manque, par exemple, de places publiques accueillantes (et pas seulement pour les touristes), l’esplanade de la Place des Arts montrant chaque année lors des divers festivals qu’elle n’est plus suffisante. Espérons que la Grande Bibliothèque, en train de s’élever, constituera un véritable espace public de qualité…
Voilà pourquoi il faut aller voir l’expo qui a lieu ces jours-ci au Centre canadien d’architecture (CCA). Elle donne à voir des propositions et théories architecturales qui ont réfléchi l’architecture comme forme de vie. Comme le mentionnait en conférence de presse le directeur du CCA, Nicholas Olsberg, s’y dessine une sorte de "moralité architecturale". Même si le mot me dérange un peu, même si cela sonne un peu trop religieux à mon goût, le concept d’une éthique architecturale est un outil de réflexion très valable.
Pour parler de cette expo au CCA, il faudrait en fait transposer dans le domaine de l’architecture le titre d’un livre de l’historien de l’art français Louis Marin sur la peinture du Caravage. Détruire l’architecture: voilà un peu le programme que cette expo semble mettre en scène. En effet, les quatre propositions (celles de trois architectes et d’un artiste) architecturales dont traite cet événement au CCA remettent presque toutes en question (à divers niveaux) la fonction de monument du bâtiment.
Cela commence par l’anti-architecture du Britannique Cedric Price qui, avec son projet de Fun Palace, souhaitait développer une architecture vivante, modifiable selon les besoins. Cela se poursuit avec la vision de l’Italien Aldo Rossi, qui a été très critique vis-à-vis du modernisme aseptisé et qui a développé une réflexion très riche sur la place de l’architecture dans le tissu urbain. Et puis le visiteur pourra se familiariser avec le travail de James Stirling, peut-être le moins révolutionnaire des trois, mais qui, lui aussi, a désiré une architecture contemporaine à l’écoute du réseau urbain dans lequel elle s’immisce.
Mais pour moi, le centre de cette expo est la présentation du travail de Gordon Matta-Clark. Cet artiste, architecte de formation, mort prématurément en 1978 à l’âge de 35 ans, a laissé une oeuvre où la notion de déconstruction de Derrida semble être mise en pratique au pied de la lettre… Composée principalement de bâtiments mis en morceaux, son oeuvre tente de montrer concrètement mais aussi symboliquement la structure constituante du monde qui nous entoure. Rien que pour voir des photos ou des films de ses interventions, cette expo vaut la visite. Vous y trouverez entre autres de l’information sur l’Anarchitecture, groupe d’artistes qui, en 1974, exposaient dans une galerie new-yorkaise située au 112, Greene Street. Y étaient présents Gordon Matta-Clark, mais aussi Laurie Anderson, Tina Girouard, Suzanne Harris, Jene Highstein, Bernard Kirschenbaum, Richard Landry, Richard Nonas…
Signalons que dans le cadre de cet événement, une série de conférences auront lieu: le 6 novembre à 19 h, Morris Adjmi viendra parler de son association, de 1986 à 1997, avec l’architecte Aldo Rossi; le 13 à 19 h, la veuve de Gordon Matta-Clark, Jane Crawford, discutera de l’oeuvre de son mari et de la scène artistique new-yorkaise dans les années 70. De plus, seront projetés tous les jeudis soirs, à 18 h, une série de films de Matta-Clark et d’artistes incontournables de cette époque (Robert Smithson, Richard Serra…). Je vous conseille particulièrement ces films, trop rarement projetés.
Jusqu’au 6 septembre
Au Centre canadien d’architecture
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