Civic Liberties : Stop ou encore?
L’espace public est-il encore à tous? N’est-il plus qu’un espace d’interdits? Une expo à la Galerie Articule soulève ce type de questions.
Vous avez certainement vu son travail. Non, ce n’était pas du vandalisme. Ce serait trop facile de résumer ainsi toute intervention dans la ville qui est effectuée sans autorisation, surtout si elle est temporaire. Rappelez-vous: dans Montréal, des panneaux signalétiques rouges désignant un Arrêt avaient été trafiqués. Juste en cachant deux lettres, l’artiste montréalais Maclean les avait transformés en panonceaux indiquant la présence d’ART. Une sorte d’évocation de ces panneaux dans les régions touristiques signalant aux visiteurs une vue imprenable ou un site historique. Une manière de critiquer le manque de place pour l’art actuel dans le tissu urbain. Une façon de se le réapproprier. Une contestation de l’art comme phénomène culturel (terme insupportable qui englobe autant Riopelle que le sirop d’érable). Bien sûr, il y a quelques endroits de contestation limitée (galeries d’art parallèles), mais le grand public s’y rend-il?
Le travail de Maclean est proche de celui de Mathieu Beauséjour qui, dans les années 90, parasitait les billets de banque en inscrivant dessus avec un tampon les mots Survival Virus de Survie. Maclean se réapproprie aussi d’autres panneaux signalétiques qu’il transforme en tableaux abstraits ou en symboles (l’un deux devient comme le peace and love des années 60)…
Maclean participe à un événement collectif à la Galerie Articule intitulé Civic Liberties. Dans cette expo, vous verrez aussi le travail du Britannique Otiose (nom d’artiste depuis 1996 de John Dummet), qui présente une oeuvre installative dont la forme évoque les graffitis et autres interventions urbaines contestataires. J’aime la structure éclatée de cet ensemble, avec des mots écrits qui interpellent le visiteur. J’aime en particulier ce mot consensus inscrit et barré sur un drapeau de plastique. L’art devrait-il parler du droit à l’expression et du devoir de différence? Une belle évidence qu’il faut répéter. Sara Graham (de Calgary), quant à elle, présente une série de dessins de structures organiques qui pourront évoquer des cartes de villes où tout paraît organisé. Mais l’ordre y semble sur le point de se transformer en prolifération incontrôlée.
L’expo prend encore plus de sens à la lecture du texte d’introduction, signé Graham Livesey (directeur du programme d’architecture à l’Université de Calgary). Il y écrit: "Quelles sont les limites de notre liberté en public? Quels droits avons-nous en tant que citadins ou banlieusards? Qui contrôle l’espace public? En ces temps où l’on piétine les libertés civiques, ceux et celles qui vivent dans les villes se doivent d’être vigilants et de défendre leurs droits." A-t-il tort? Le tissu urbain, de nos jours, c’est la fermeture des parcs, places publiques et squares de minuit à 6 heures du matin (règlement qui permet de se débarrasser des itinérants), ce sont les caméras de surveillance présentes dans de plus en plus d’endroits… Une réflexion qui tombe à point alors que l’on célèbre les dix ans de gouvernement de Jean Chrétien et que l’on oublie comment celui-ci ne fut pas toujours le grand défenseur des droits civiques que l’on présente maintenant à l’histoire. Son attitude durant les manifestations contre la venue au Canada du dictateur Suharto, lors du Sommet de l’APEC en 1997 à Vancouver, et après celles-ci, fut plus que critiquable. Les arrestations policières à l’aide de poivre de Cayenne (suivies de fouilles à nu) furent considérées par notre PM comme un progrès (la police n’utilisant plus les bâtons de base-ball pour disperser la foule [sic]), et il y alla d’une phrase qui passera à l’histoire (non pas pour les mêmes raisons que celle de César): "Pepper is what I put on my plate." Une commission d’enquête a ensuite conclu que la police avait "agi de manière incompatible avec le respect des libertés fondamentales garanties par la Charte des droits".
Jusqu’au 30 novembre
Au Centre d’artistes Articule