Pierre Dorion : Sortir du cadre
Cela fait une vingtaine d’années que PIERRE DORION travaille la peinture. Une courte rétrospective de son oeuvre à la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen, à l’Université Concordia, permet de faire le point sur sa production et sur son parcours.
Je dois dire que j’ai beaucoup apprécié l’art pictural de Pierre Dorion dans les années 80 et au début des années 90. Sa peinture me semblait à la hauteur de ce qui se faisait alors de mieux dans la même veine sur la scène internationale, comme par exemple dans la trans-avant-garde italienne. Son art n’avait rien à envier au style de l’époque de Francesco Clemente ou Sandro Chia… Le retour sur la tradition picturale qu’effectuait son oeuvre, tout en proposant un écart critique par rapport à celle-ci, m’apparaissait d’une grande pertinence. J’avais alors l’impression d’y voir un écho aux idées du philosophe Lyotard sur le postmodernisme et la fin des grands idéaux. Entre autres dans ses tableaux où l’iconographie de la peinture d’histoire était reprise, mais comme déconnectée de son sens premier et de sa fonction sociopolitique, Dorion me semblait effectuer une critique de la récupération de l’art par le pouvoir. C’est donc avec plaisir que j’ai revu plusieurs tableaux de ce peintre dans le cadre d’une rétrospective de son oeuvre à la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen, à l’Université Concordia. Les peintures de cette époque m’ont procuré la même sensation. Elles conservent cette fonction critique vis-à-vis de la tradition picturale: une sorte de résistance aux codes anciens.
Je dois le dire, j’ai aussi eu le sentiment que l’art de Dorion avait pris une tournure moins critique depuis quelques années. Comme si, dans un étrange retournement, l’histoire de la peinture avait réussi à séduire le talent de Dorion et à l’écarter de son travail de distanciation. Je m’explique.
Prenons le cas des autoportraits de Dorion. L’historien d’art attentif y remarquera, dans les gestes, une résistance aux codes anciens, cités d’une manière libre. Tel geste de la main, telle attitude du corps évoquent des gestuelles de la peinture religieuse ou d’histoire, ou encore simplement les codes plastiques propres au genre du portrait (par exemple, cet autoportrait installé sur une chaise ne fait-il pas référence à ces poses bien assises qu’une bourgeoisie confortable a longtemps données d’elle-même?). Chez Dorion, ces attitudes corporelles résistent toujours un peu à de tels niveaux de lecture. Un fini un peu étouffé, légèrement vaporeux, ou tout simplement une perte de contexte entraînent un sentiment d’étrangeté. Pour reprendre une idée de l’historien de l’art Laurier Lacroix dans le catalogue de présentation, il s’agit peut-être d’une réflexion et d’une "inquiétude face au sort réservé aux images célébrées puis délaissées". Une forme de commentaire sur la perte de mémoire de notre époque vis-à-vis des peintures du passé et des codes picturaux anciens…
Ces tableaux, surtout les plus récents, n’en évacuent pas pour autant toute forme de sacralisation ou d’héroïsation. Que ces codes symboliques ne soient pas utilisés dans le bon cadre, avec le contexte nécessaire, voilà qui est parfois presque secondaire. Depuis quelques années également, la peinture de Dorion est dans la retenue au niveau plastique. L’expressivité des premières années a totalement disparu. Avant que d’être une réflexion formelle, son art est devenu une reprise des codes de la peinture ancienne pour les valeurs culturelles et symboliques qui lui sont associées. Pour l’oeil (et c’est toute l’ambiguïté de l’héritage de la peinture figurative citationnelle des années 80, d’où émerge la proposition esthétique de Dorion), c’est un art qui revient à un réalisme soigné et esthétisant, à une technicité réconfortante. Maestria de la main pour le regard. Risque de l’art pour l’art.
Jusqu’au 20 décembre
À la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen de l’Université Concordia
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