Video Heroes : Je veux être une rock star
Arts visuels

Video Heroes : Je veux être une rock star

Notre mémoire collective est remplie de chansons populaires: celle de notre premier slow, celles de nos premiers partys dans le sous-sol de nos parents… Au Centre Saidye Bronfman, une expo de vidéos d’art interroge notre rapport à cette musique ainsi qu’aux vidéoclips.

De plus en plus de vidéos d’art mettent en scène de la musique populaire. C’est à partir de ce juste constat que la commissaire Sylvie Gilbert a décidé d’élaborer une expo intitulée Video Heroes. Le visiteur y trouvera des noms importants de la vidéo au Canada, tels que Nikki Forrest, Monique Moumblow, Yudi Sewraj et Daniel Olson, mais aussi des musiques de chanteurs marquants des années 60, 70 et 80, dont Bob Dylan, Jimi Hendrix, Cat Stevens et The Clash, ou moins marquants (China Crisis, Trio, Nena). Pas que de la bonne musique, mais des chansons qui nous ont trotté dans la tête à un moment donné (parfois malgré nous, en se demandant bien pourquoi notre cerveau a retenu une rengaine aussi insipide).

Comment interpréter cette rencontre entre vidéo d’art et musique populaire? Le vidéo d’art aurait-il vendu son âme au système capitaliste en se réappropriant le vidéoclip mercantile au point de lui ressembler? À moins qu’il faille voir encore une fois la figure de l’ironie dans ce processus de récupération?

"Dans ces vidéos, il y a de l’ironie, mais pas que cela, souligne Sylvie Gilbert. Souvent, c’est l’admiration qui domine dans le travail de ces artistes. Une admiration pour la culture populaire et les héros qu’elle a représentés. Ces artistes énoncent aussi une relation ambiguë au vidéoclip. Certaines pièces, comme celle de Skawennati Tricia Fragnito, parlent de l’illusion qu’il y avait autour du vidéoclip, lequel laissait croire que tout le monde pouvait, avec un peu talent, devenir une vedette populaire, millionnaire."

Certaines de ces pièces formulent une forte critique du système musical populaire, tel le vidéo I am a Boyband, de Benny Nemerofsky Ramsay. Il y décortique l’imaginaire des groupes de garçons avec ses archétypes obligatoires: le faux rebelle, l’androgyne, le bon garçon clean-cut au regard romantique… De la musique où se montre l’homme actuel? Plutôt le garçon que les parents de jeunes filles veulent bien voir sur les posters dans la chambre de leur ado. Étrangement, ces garçons chantent beaucoup l’amour en parlant de fidélité et de respect, alors que les jeunes filles chanteuses, genre Britney Spears, clament plutôt leur capacité à se défendre des garçons tout en donnant des balises sur ce qu’une jeune fille doit ou ne doit pas faire sexuellement (comme le disait Britney il n’y a pas si longtemps: "I’m not a girl, not yet a woman"… Je vous laisse comprendre ce qu’elle faisait alors avec son copain).

Mais il y a plus. Dans cette expo se dessine une apologie méritée de la musique populaire comme manière d’exister, de donner forme à son identité au moment de l’adolescence (et pas seulement à ce moment-là). Un bel exemple, certes simple mais efficace, est le vidéo de Rob Ring intitulé Ultra Hustle Dance Party. Un jeune homme, beau gosse, en chaussettes blanches, jeans et t-shirt, danse librement durant une heure dans le sous-sol au fini faux bois chez ses parents. Comme le dit le texte de présentation, il s’agit d’une relecture de la notion de performance. Cela énonce aussi la musique comme manière de donner vie à son corps, de l’habiter en dehors des comportements très rigides que la société lui impose.

Le rock n’est pas mort
Ce n’est peut-être pas un hasard s’il y a beaucoup de chansons des années 60 et 70 dans cette expo. Les musiciens de cette époque offraient (et continuent d’offrir) aux jeunes des représentations sociales différentes de ce que veut dire être un homme ou une femme dans la culture dominante. À cet égard, le vidéo de Nikki Forrest My Heart the Rock Star, discutant de Patti Smith, est significatif. Court vidéo, mais ô combien réussi. La vidéaste nous raconte comment, durant son adolescence, elle était fascinée par cette chanteuse dont, au premier coup d’oeil, elle ne pouvait dire si elle était un homme ou une femme. Qui plus est, personne ne semblait choqué par cette ambiguïté sexuelle… La culture rock comme espace de tous les possibles (pensons de nos jours à l’image de Marilyn Manson).

Une expo très bien orchestrée, même si certains vidéos sont moins pertinents. La mise en scène de l’ensemble est impeccable, les vidéos étant exhibés dans une sorte de forêt de poteaux de métal. Cela change de la frontalité habituelle des écrans vidéo et souligne la présence dans nos vies de ces objets que sont les écrans télé.

En fin de parcours, une petite section supplémentaire réserve quelques surprises. La commissaire a eu la bonne idée de lancer un appel à tous permettant au public de montrer ses vidéos maison. Il y en a des bons, comme ce vidéo très branché (qui fait penser à un Lite Brite revisité pour une rave) intitulé Minuit quarante, de Jonathan Veilleux, ou encore le très court mais très drôle Icitte les douzaines d’oeufs ont juste dix oeufs, de Charles Billard.

Signalons que le samedi 13 décembre (dès 21 h), aura lieu au Centre Bronfman une soirée "Bands sur Bande". The Donkeys, Gwenwed, The American Devices, Bloodshot Bill and the Hubcaps ainsi que Goa! seront de la fête. Le vidéaste Adad Hannah réalisera un vidéo sur place.

Jusqu’au 11 janvier 2004
Au Centre des arts Saidye Bronfman
Voir calendrier Arts visuels