Edith Croft et Mélanie Bédard : Totems et tabous
EDITH CROFT et MÉLANIE BÉDARD occupent les deux espaces de Rouje. La première avec de superbes sculptures monumentales; la seconde avec une installation vidéo où la végétation est engloutie sous le béton.
Inspirées de l’art totémique des autochtones de l’Ouest canadien, où Edith Croft a séjourné pendant cinq ans, les quatre pièces monumentales de la sculpteure ont une présence exceptionnelle. "Les Carcasses d’anges" côtoient "Les Âmes siamoises", deux séries dans la continuité des premières recherches sculpturales de l’artiste. Ici, pas d’image folklorique du totem: "Il s’agissait plutôt en côtoyant cet art, comme l’explique l’artiste, de comprendre suffisamment l’esprit et la symbolique qu’il véhicule pour pouvoir en faire naître une tout autre imagerie […]" Les grands cèdres rouges, Edith Croft les a rapportés de Colombie-Britannique et les a sculptés à la scie à chaîne! Les formes émergeant des arbres conservent des parties intactes; les traces laissées par la scie permettent presque de recréer chaque geste de l’artiste. Ces corps tourmentés naissant des pièces de bois, tantôt ornés d’ailes de cuivre, tantôt d’ailes peintes en bleu ou couvertes de feuilles d’or, ce sont des "corps désertés de leur âme". Ils sont empreints d’émotions contenues dans leurs formes mêmes. Chacun de ces "messagers" exprime les rapports entre les désirs et la réalité, est le véhicule, comme l’explique l’artiste, des "passions humaines inassouvies". Cry Me a River, un ange aux ailes bleues retombant comme une chute d’eau, rivalise avec trois autres grandes pièces, deux petites sculptures de résine de polyester imitant la patine du bronze, et de beaux dessins aussi monumentaux que les sculptures. Si toutefois l’utilisation systématique de socles pour maintenir en place les grandes sculptures peut laisser perplexe, l’intensité et la force de cette production sont telles qu’on ne peut que se laisser convaincre.
Sans prétention ni volonté de correspondre à quoi que ce soit, la production d’Edith Croft est très personnelle et fondée sur une indépendance d’esprit étonnante. Son travail est marqué de mystère et on le devine lié à une vie intérieure très riche. En outre, ses sculptures possèdent un contenu latent qui ne demande qu’à devenir manifeste… On pourrait ainsi élaborer longuement sur leur sens caché en revenant à une des définitions premières du totem comme étant un "animal (quelques fois un végétal, et très rarement une chose) considéré comme l’ancêtre et par suite le protecteur d’un clan, objet de tabous et de devoirs particuliers". Les totems de Croft, ses anges en chute, ne donnent peut-être pas de leçon de morale, mais nous invitent assurément à une mise en garde à propos de dualités dont on voudrait bien faire fi: "rêve et réalité, raison et passion, liberté et contrainte". Celle qui partage son temps entre son atelier de Saint-Jean-Port-Joli et un boulot dans l’industrie du cinéma prépare sa prochaine production, qui sera présentée au printemps 2004 chez Madeleine Lacerte. Pour cette série, elle désire continuer à travailler "des éléments de la nature pour transfigurer les émotions humaines". On sera là pour la suite de La Chute des anges.
Également chez Rouje, l’installation vidéo de Mélanie Bédard. Elle questionne, quant à elle, les rapports entre nature et culture: une nature idéalisée qui disparaît sous la grisaille de la ville. La vidéo projetée au sol montre une flaque d’eau peu à peu recouverte de feuilles d’arbre, qui seront fatalement à leur tour coulées dans le béton. Le dispositif fonctionne très bien. En écho au bassin d’eau virtuel, des plantes habillées du même matériau gris peuplent ce jardin urbain. À voir.
Jusqu’au 21 décembre
Chez Rouje
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Bloc-notes
Reality Party
L’équipe du Lieu revient avec son événement fétiche, la Biennale des Couvertes, "pour célébrer le caractère édifiant de nos démocraties de marché". Bien entendu, on ne sait pas trop à quoi s’attendre, mais vu la participation des Fermières obsédées, on imagine qu’on y fera un peu de "trash tricot"… On annonce aussi la présence de "personnalités-surprises". Le public est invité à réserver des places avant 17 h, le jeudi 11 décembre. Le "Reality Party" se déroule le 12 décembre à 20 h.
Le mobilier sculptural
Si vous ne l’avez pas encore vue, cette exposition collective vaut le détour. Le travail de design de six ébénistes de la "relève québécoise" en est un de fantaisie. La plupart des objets sont fonctionnels, mais certains, inutilisables, pourraient être envisagés comme des sculptures. Edwim Akué, Danielle Carignan, Marie Gélinas, Dino Guérion, Michel Rouleau, Nathalie Sanche et Angelo Sorrentino occupent le bel espace de Matéria avec leurs bureaux, tables et autres variations sur le mobilier. À voir jusqu’au 28 décembre.