Stacy Lawrence : La vraie nature du kitsch
Vous rêvez d’aller voir un jour les grands singes d’Afrique ou les hévéas de Guyane? Ils sont en fait à portée de main. Ou presque…
Notre planète ressemble-t-elle de plus en plus à Disneyland? Notre manière d’aborder la nature, les paysages et même la notion de beauté s’est-elle engagée sur la voie de la "kitschification", de la "disneyification" à outrance? C’est la problématique que soulève le photographe Stacy Lawrence dans son expo à la Galerie Occurrence.
Lawrence aurait pu nous montrer des images de nains de jardin, des reproductions en plâtre du David de Michel-Ange en train de pisser dans un bassin décoratif, ou bien encore (comme dans le film Elvis Gratton) un buste d’Elvis Presley transformé en fontaine de jus de fruits… Il aurait pu aussi traiter du tourisme et de la photo de voyage. Mais il frappe encore plus fort. Il s’attaque non pas au kitsch de banlieue, à celui propre aux touristes américains, au quétaine que les autres affichent bêtement et dont on peut se moquer en se disant que nous, nous ne sommes pas comme ça. Il met en lumière un kitsch moins clinquant, mais non moins répandu et surtout non moins faux.
Lawrence nous montre des endroits qui semblent à l’abri du mauvais goût: un zoo, le Jardin botanique de Montréal, la Biosphère, un centre sportif avec son mur d’escalade… Des lieux qui ne paraissent pas quétaines au premier regard. Pourtant. Lawrence souligne comment ces espaces doivent faire image, proposer une vision de la nature qui soit distrayante, divertissante, plaisir des sens. À tout prix. Le mur d’escalade fait de fausse pierre et de fausse nature autant que la fausse cascade du Jardin botanique ou le faux environnement sauvage de la cellule du gorille au zoo. Autant le Jardin botanique que le zoo sont des reconstitutions simplifiées, compressées de la nature qui permettent de consommer sa diversité en toute sécurité, sans avoir à vraiment se déplacer dans des régions éloignées. L’exotisme à portée de main… Le gorille, le palmier ou la montagne à escalader à 10 minutes de chez soi. Déprimante vision? Pas autant que pour les gorilles et autres animaux de zoo qui, comme le dit justement Lawrence, reçoivent bien souvent des doses d’antidépresseurs pour poser moins de problèmes.
Le terrain de golf est un autre de ces emblèmes forts de la nature "kitschifiée". Lawrence en montre plusieurs images avec ses faux étangs et ses verts gazons impeccables qui sont une nuisance écologique, représentant un faramineuse demande en eau. Particulièrement efficace, cette image montrant une machine distributrice de bouteilles d’eau placée entre deux arbres en plein terrain de golf. Trop surréelle pour être vraie? Montage photographique? Manipulation avec Photoshop? Hé non! Cette image a été vraiment prise sur un terrain de golf dont la direction a eu la belle attention (le kitsch est souvent très courtois) de faire installer de telles machines pour étancher la soif de ses joueurs cultivés consommant de l’eau minérale.
Voici une expo qui traite de ce que j’ai déjà plusieurs fois dénoncé comme étant la culture du réconfort. Celle-ci n’est pas nouvelle. Le pittoresque a toujours existé. Il fut une époque où les riches propriétaires terriens et les bourgeois faisaient arranger leur terres et jardins pour qu’ils ressemblent à des peintures de paysages comme ceux inventés par le peintre Claude Le Lorrain. Le phénomène s’est juste un peu démocratisé. Et la science n’est pas à l’abri de cela. Les jardins zoologiques ou botaniques inventés pour l’étude des plantes et des animaux participent à ce désir de l’Occident de posséder le monde au creux de sa main.
Jusqu’au 10 janvier
À la Galerie Occurrence
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