Shawn Bailey : Se dorer la pilule
À quoi tient le bonheur? L’artiste SHAWN BAILEY nous amène à réfléchir sur l’usage de certains psychotropes légaux.
Je vais bien, tu vas très bien, il va très très bien, nous allons encore mieux, vous allez tellement bien, ils se sentent au paradis… Ah, les bienfaits des médicaments! Que ferions-nous de nos jours sans antidépresseurs, anxiolytiques, tranquillisants, neuroleptiques, antidouleur, somnifères et autres merveilles tirées de la pharmacopée moderne? Un petit Prozac pour aller mieux ou bien un bon Valium? Pourquoi sentir quelque chose alors qu’avec une petite pilule rose ou bleue, vous pourriez ne plus rien ressentir du tout?
Bien sûr, l’industrie des médicaments, elle, se porte à ravir. Elle est une des industries les plus vigoureuses du monde, tout à fait alerte, en pleine croissance. Elle va très très bien, merci. Et vous?
Dans son expo à la Galerie Articule, l’artiste montréalais Shawn Bailey nous oblige à réfléchir à la place des médicaments dans notre société. Sujet délicat, qu’il développe à l’aide d’une installation composée de milliers de pilules (au fait, nous en aurons pris combien dans nos vies?). Sur le sol de la galerie apparaît l’image d’un ange formé en négatif par le vide laissé par une multitude de ces médicaments. Un corps qui existe par la négative et auquel on promet le paradis… Sur le mur, une sorte de console de son formée elle aussi de petites pilules colorées semble être comme un centre de contrôle. Tout est vraiment sous contrôle, croyez-vous? Aliénation tout de même en vue?
Bien sûr, tout cela n’est pas absolument original, ni exempt de littéralité. Cela fait beaucoup penser à une ouvre que l’artiste anglais Damien Hirst proposait à la dernière Biennale de Venise et qui était composée de copies de 18 000 médicaments produits par différentes compagnies.
Mais bon, les bonnes idées surgissent parfois à plusieurs endroits à la fois et je ne me lancerai pas dans une histoire de brevet… D’autant plus que le propos mérite d’être fouillé.
Dans le texte de présentation de l’expo de Bailey, une phrase retient particulièrement notre attention: la bonne santé de l’industrie des médicaments "dépend de la découverte de nouvelles maladies, déficiences, désordres ou syndromes". On y dénonce en outre l’effort de cette industrie pour nourrir cette co-dépendance entre patient et pilules, mais surtout entre maladies et industrie des médicaments. Propos qui réveille. Même si, bien sûr, cette industrie sait ce qu’elle fait et que jamais plus, osons-nous croire, ne se répéteront des erreurs comme celle de la thalidomide… Rappelons que ce médicament "miracle", utilisé à la fin des années 50 et dans les années 60 pour calmer les nausées durant la grossesse, causa de graves malformations congénitales chez plus de 800 nouveau-nés à travers le monde.
Une expo à voir en lisant Henri Laborit, l’un des découvreurs des neuroleptiques, qui ne se gênait pas pour critiquer les sources sociales (comme les structures hiérarchiques) du stress et autres formes d’aliénation des individus.
Une expo que je prescris tout en soulignant les limites du traitement intellectuel qu’elle promet.
Jusqu’au 25 janvier
À la Galerie Articule
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