Double exposure : Voir double
Les images mentent. Une expo à la Galerie Graff nous propose de scruter avec attention tout ce qu’elles offrent au regard.
On parle beaucoup de nos jours de l’image comme mensonge. Quelle découverte! Il est vrai qu’avec les nouvelles technologies, difficile de faire la différence entre vrai et faux. Pourtant, l’illusion du réel a toujours hanté l’art. L’image manipulée et la manipulation par l’image ont toujours existé. Un exemple: très vite au 19e siècle, les photographes ont compris, avec entre autres la technique de la double exposition, que les images photo pouvaient mentir avec facilité, créant par exemple des fausses représentations de fantômes.
Ces jours-ci, une expo présentée à la Galerie Graff interroge, avec une subtilité plus grande que ce que dit la doxa de nos jours, les rapports entre l’art et le réel. Intitulée Double exposure, elle sort la photographie de ce débat entre vérité et mensonge. Malgré son titre, la technique de la double exposition photographique n’est pourtant utilisée par aucun des 14 artistes internationaux (Candida Höfer, Thomas Ruff, Vanessa Beecroft, Olafur Eliasson…) dont les créations sont exposées. C’est très bien ainsi. Chacun d’eux y présente simplement un diptyque, où s’énoncent des réflexions sur les notions de double, de réalité et de copie, de points de vue sur le réel, de reflets… La célèbre Nan Goldin (qui a dernièrement fait l’objet d’une rétrospective au Musée d’art contemporain) nous montre deux portraits d’une même femme à sept ans d’intervalle. Mais est-ce bien une femme? Ou un travesti? Est-ce bien la même personne? Est-ce simplement le temps qui a changé le look et l’identité de cet être? Notre identité serait donc multiple, comme l’a si bien énoncé Michel Tremblay dans sa pièce Albertine, en cinq temps?
Barbara Probst nous montre deux fois une même scène, mais prise de deux angles différents, ce qui en change complètement la nature. Thomas Demand nous donne à voir deux images avec des fiches blanches qui évoquent ces bulletins de vote utilisés en Floride lors des dernières élections présidentielles américaines. La réalité elle-même semble pouvoir être manipulée…
Une expo avec des propositions essentiellement intelligentes. J’aurais cependant un reproche à faire: il y manque pour chacune des images un court texte explicatif, à défaut de quoi je vous invite à aller voir le site des Éditions Schellmann (www.editionschellmann.com), qui ont monté cette présentation, pour connaître un peu mieux la signification de chacune des photos.
Cette situation souligne un phénomène important en art contemporain. Depuis au moins 20 ans, les images ont de nouveau recours au texte, alors que la modernité avait tourné le dos au littéraire. Une image n’était pas un texte, et même lorsqu’il y avait du texte dans l’image, il était en compétition avec celle-ci, une sorte de corps étranger. L’art contemporain semble renouer avec l’art ancien qui demandait au spectateur de connaître un récit (religieux, mythologique, historique) pour mieux comprendre son sens. Double exposure nous démontre cela et souligne du coup que le sens de l’image ne vient pas d’elle-même mais du contexte dans lequel elle est montrée. Le sens d’une image dépend décidément de l’usage que l’on en fait.
Jusqu’au 14 février
À la Galerie Graff
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