Entretien avec Jean Beaulieu : Vitraux de rue
Bohème endurci, l’artiste JEAN BEAULIEU s’est toujours démarqué de la masse. Il ne s’est jamais contenté de la médiocrité. Et, c’est tout un sommet qu’il vient d’atteindre avec la concrétisation d’un projet de vitrail réalisé en collaboration avec trois jeunes de la rue.
Jean Beaulieu cache difficilement sa joie au moment de l’entrevue, additionnant les jurons et les sourires à pleines dents. Il raconte qu’à sa grande surprise, le maire Lévesque a décidé de subventionner au nom de la Ville de Trois-Rivières le produit d’un an complet de bénévolat auprès de jeunes qui vivent l’exclusion sociale: un vitrail à caractère historique. Après avoir admiré le premier d’une série de 28, soit une fresque de 2800 morceaux qui illustre l’arrivée des Ursulines dans la cité en 1697, le politicien s’est laissé tenter par celui-ci, qui mettra en vedette Maurice Duplessis.
Si l’artiste de 42 ans flotte, c’est non seulement parce qu’il a réalisé une "vente", mais aussi parce que son travail avec les marginaux vient d’être reconnu. Jean Beaulieu a toujours méprisé le geste de mendier: "De mon atelier situé en haut de chez Angéline, je voyais les jeunes quêter. Je me disais: "Chante, danse, gagne-la ta piastre!"" En réalité, il s’attristait de voir ces derniers poser un acte humiliant, alors qu’il aurait eu tant besoin de leur aide comme artisans du verre. C’est ainsi que l’idée de réintégrer des jeunes en marge de la société, par le biais de l’art, a mûri dans le crâne de Beaulieu. "En fait, le but d’un tel projet, c’est qu’à partir d’eux, on réunisse en même temps des gens de tous les milieux: politique, social, culturel, religieux, industriel…" souffle celui qui a parfois dormi sous les étoiles. Pari gagné! La gageure a cependant donné du fil à retordre…
Au départ, peu de gens croyaient à cette initiative casse-gueule. Jean Beaulieu, entêté, a plongé malgré tout: "Je me disais que les problèmes se régleraient au fur et à mesure." Selon lui, il suffisait d’une seule réalisation pour que des personnes influentes se joignent au projet. Vision? Prémonition? Le concept a étonnamment fait écho jusqu’en France, où des individus aimeraient que le Trifluvien répète l’expérience.
Loin de vouloir se retirer du milieu artistique, Beaulieu annonce le projet des 28 vitraux comme le testament qu’il désire laisser à la ville d’histoire et de culture. Le révolutionnaire affirme se sentir à l’étroit dans le microcosme trifluvien; il projette se concentrer davantage sur une carrière internationale. "Moi, je veux être à côté des meilleurs", lâche-t-il. Un objectif assez réaliste, surtout lorsqu’on apprend que les éditions Tasarim, en Turquie, considèrent son atelier de vitrail parmi les meilleurs au monde.