Tanagra: le petit peuple d’argile : Dans de beaux draps
L’art grec antique comme vous ne l’avez jamais vu. L’art grec issu de la vie quotidienne. Voilà à quoi nous convie le Musée des beaux-arts avec l’expo Tanagra: le petit peuple d’argile, en provenance du Musée du Louvre.
Lorsque, en 1870, les habitants de la ville grecque de Bratsi, proche de l’antique cité de Tanagra, découvrirent dans des tombes de petites statues d’argile représentant majoritairement des femmes drapées, ils ne savaient certainement pas quelle mode ils allaient lancer. Très vite, ces statuettes (qui, en fait, virent le jour à Athènes au 4e siècle avant notre ère) devinrent connues et extrêmement prisées à travers toute l’Europe. Une manie "tanagréenne" (qui entraîna une production importante de faux) s’empara des collectionneurs et des riches bourgeois. Une multitude d’artistes s’inspirèrent de ces figurines: Whistler, Degas, Vuillard, Gérôme… Étonnante situation. L’histoire de l’art a souvent valorisé le grand art monumental au détriment de l’art populaire et utilitaire.
C’est ce que rappelait, dans sa brillante conférence donnée au MBA la semaine dernière, Violaine Jeammet, commissaire de cette expo et conservatrice au Département des antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre. "L’artisanat d’art, expliquait-elle, a été longtemps méprisé, et ce, même dans l’Antiquité, alors qu’il était pourtant utilisé tous les jours. Dans la littérature antique, on n’en avait que pour les grands bronziers et les peintres de chevalet. Sinon, rien."
Pourquoi un tel retournement? Le goût bourgeois pour le bel objet décoratif y est certainement pour beaucoup. Dans une culture européenne où les vêtements complexes des femmes, avec leurs plis et replis, étaient devenus par un étrange déplacement le signe de la féminité, ces statues drapées ont certainement fait vibrer une corde sensible. La méthode de production de ces pièces a dû elle aussi fasciner le 19e siècle industriel. En effet, ces statuettes étaient produites en série grâce à des moules (bivalves). Les têtes et les corps avaient généralement des moules séparés, ce qui permettait de créer des variations d’attitude presque infinies. Les artisans grecs allaient même jusqu’à remouler leurs statuettes et à en adapter continuellement le drapé. Un exercice de thèmes et variations sur la production en série…
Voici une expo intelligente montée par une spécialiste qui a le grand mérite d’éclaircir des questions archéologiques, sociales et artistiques complexes.
Fonction de l’art
On oublie souvent l’usage des œuvres d’art pour se contenter de leur valeur esthétique. C’est une erreur. C’est même une manière très bourgeoise de parler d’art. Tanagra: le petit peuple d’argile nous ramène à la réalité concrète de ces œuvres. Jeammet explique comment ces statues n’étaient pas au départ des bibelots décoratifs, mais servaient à des rites funéraires ou religieux (en tant qu’offrandes). Elles étaient certainement liées au culte de divinités protectrices de l’enfance (et du passage à l’âge adulte) et peut-être des femmes mariées.
Saluons la très belle et très juste mise en scène de cette expo par Christiane Michaud. Avec de simples tissus en suspension, elle a su créer une atmosphère assez théâtrale pour faire comprendre la valeur des pièces et assez intimiste pour permettre d’en apprécier les détails.
Le visiteur profitera de sa visite au MBA pour aller voir les nouvelles salles dédiées aux antiquités méditerranéennes. Elles mettent en valeur la petite mais belle collection du Musée. Y trône une nouvelle acquisition, un superbe marbre, une statue de l’Apollon Chigi du 2e siècle.
Signalons enfin deux conférences qui porteront sur la Grèce antique. Le 18 février, à 18 h, le professeur et archéologue John M. Fossey discutera de l’histoire de l’art de la Béotie; il sera suivi à 19 h par Pierre Bonnechère, du Centre d’études classiques de l’Université de Montréal, qui traitera des oracles.
Jusqu’au 9 mai
Au Musée des beaux-arts