Jouer au docteur/Be a specialist de Carl Bouchard : Fragments d'un discours amoureux
Arts visuels

Jouer au docteur/Be a specialist de Carl Bouchard : Fragments d’un discours amoureux

CARL BOUCHARD se produit pour la première fois en solo au Lieu. Des installations, des dizaines de trouvailles formelles et quelques performances. Ingénieux, inquiétant et grivois juste ce qu’il faut.

Carl Bouchard fait partie de cette catégorie de créateurs audacieux et très talentueux. L’artiste de Chicoutimi expose depuis une douzaine d’années. Il s’interroge sans cesse et nous interpelle toujours autant. Parce qu’il parvient à communiquer son intention par le travail plastique, ses propres histoires donnent toujours accès à des questionnements plus généraux sur la condition humaine. Ses dernières propositions, présentées au Lieu, convoquent différents médiums (vidéo, photographie, assemblage) et ont en commun d’être raffinées et, comme d’habitude, empreintes de virtuosité et d’invention. On retrouve encore l’omniprésence de l’autoportrait, des références à l’univers amoureux et parfois des connotations homo-érotiques. Dix mille pistes d’interprétation sont possibles dans tout ce bazar. Des dessins finement taillés dans les stores verticaux – qui s’avèrent d’ailleurs une des meilleures occupations in situ des fenêtres du Lieu – permettent d’attirer le regard des passants. Un miroir convexe, une des plus belles pièces de l’exposition, pose doublement la question du regard; une glissade pose dangereusement celle de la vérité…

À l’instar de plusieurs œuvres de Carl Bouchard, on est amené avec Jouer au Docteur/Be a specialist à s’interroger sur l’identité et plus particulièrement à vérifier si ces œuvres participent d’un art qui serait spécifiquement gay, voire d’une esthétique homosexuelle. Quoiqu’elles soient aujourd’hui banalisées, ces questions sont encore l’objet de débats. On retient des différents points de vue celui du duo anglais Gilbert et Georges, qui opposait au concept d’art gay celui d’un "art pour tous", comme le précise Florence Tamagne dans Une histoire des représentations de l’homosexualité. On sait surtout qu’il y a du bon et du moins bon travail, de la qualité ou non, et que celui de Carl Bouchard nous intéresse surtout pour ses propriétés plastiques et polysémiques. Ce que l’on peut affirmer avec assurance, c’est qu’il ne s’agit pas moins d’une approche militante que d’une approche de l’ordre de l’intime. Quant au principal intéressé, il dira d’emblée lorsqu’on aborde cette question: "Quand on m’a demandé de participer récemment à l’exposition collective montréalaise sur l’art gay, j’ai refusé. Je trouve que les catégories sont une façon pour le public de se sentir moins concerné […]" Et revient le leitmotiv de la responsabilité du spectateur, propos central de cette exposition au Lieu, au cœur également des performances que l’artiste a réalisées lors de son séjour.

Voilà comment cela s’est passé… Pendant quatre jours, au Lieu, Bouchard s’est assis sur la table d’examen, attendant les spectateurs derrière les stores animés par un dessin érotique. Au mur, des certificats médicaux fictifs, qu’on devine être le résultat de tests de VIH, et autres indices se rapportant à l’univers médical. Mettant à l’épreuve ses propres limites et celles des spectateurs, il nous interpellera d’un: "Je suis inquiet. Je crois avoir de la fièvre. Voudrais-tu prendre ma température avec un thermomètre anal?" On aura compris, les spectateurs étaient libres d’acquiescer. "Il n’y a rien à voir, mais une expérience à faire!" précisera Bouchard. Que l’on ait accepté ou non de "collaborer", inévitablement, une relation absolument particulière et intense s’est établie. En tout cas, il s’est passé quelque chose! "L’examen/action que je propose, écrit-il, métaphorise, par un jeu enfantin, un combat récurrent de l’histoire de l’art: celui qui unit l’artiste à la critique." Le spectateur devient docteur; l’artiste, le patient. Si, comme l’écrivait René Payant, "penser la performance, […] c’est réfléchir sur sa propre position de critique, de spectateur", notre refus de participer au "jeu" sera l’occasion d’envisager nos propres limites certes, mais encore davantage de constater la grande et fantastique liberté du spectateur devant l’œuvre comme devant l’art-action. Un rapport stimulant qui demeure à la fois privilège et plaisir.

Jusqu’au 14 mars
Au Lieu
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Bloc-notes
Catherine Farish chez Lacerte
Les estampes exposées chez Lacerte sont celles d’une artiste aguerrie. On en apprend sur ce métier, tellement, ici encore, sont au rendez-vous créativité et savoir-faire. Les connaisseurs le reconnaîtront… Un travail très sensible. Esquisses païennes se poursuit jusqu’au 16 mars.

Jean-Phillipe Roy au 36
Inauguration, le vendredi 5 mars à 19 h, de l’incursion du jeune artiste à la galerie de la rue Couillard. L’installation Les oiseaux, l’arbre, la montagne et les oiseaux, l’arbre, la montagne’ s’annonce dans la plus pure tradition de l’intervention in situ. Jusqu’au 28 mars.