Massimo Guerrera : Tribu.com
Arts visuels

Massimo Guerrera : Tribu.com

Quelle est la nature de nos espaces personnels? Depuis cinq ans, MASSIMO GUERRERA poursuit une réflexion sur ce sujet à travers un projet intitulé Porus.

Cela débute par une petite salle où une série de photos montre un groupe d’individus. Ils font partie de ces 12 personnes que Massimo Guerrera rencontre presque tous les mois depuis plusieurs années, certains depuis octobre 2000. Ces rencontres se font autour d’un prétexte, autour de "kiosques domestiques", sortes de "petits meubles-sculptures" que Guerrera laisse chez ses complices artistiques. Avec ces interfaces sculpturales pour individus consentants, Guerrera a entrepris de réaliser une forme d’esthétique relationnelle (mes lecteurs assidus auront reconnu cette expression qui vient du critique français Nicolas Bourriaud), héritière du happening des années 60.

Mais le happening devient ici plus intimiste, seuls quelques amis étant conviés à ces soirées artistiques où ces petits objets permettent en fait de "rencontrer des gens dans leurs appartements et de passer du temps avec eux". Bien que ces événements ne concernent qu’un petit groupe, le spectateur ne se sent pas exclu du processus exposé par la suite en galerie. Le caractère intimiste de ces soirées-performances est comme une manière d’énoncer une résistance à la porosité de nos espaces privés au domaine du public. Guerrera a souvent, et avec raison, dénoncé cela.

Au début de son projet Porus, en 1999 à la Galerie Leonard et Bina Ellen, Guerrera utilisait des circulaires et publisacs comme symbole le plus évident de cette invasion de nos espaces privés. Et il y aurait beaucoup à dire sur cette forme d’intrusion: compagnies de crédit qui gardent une quantité incroyable de renseignements sur nous et qui vendent nos adresses à différentes agences publicitaires, cookies qui sont déposés dans nos ordinateurs lorsque nous allons sur des sites Internet et qui permettent de comptabiliser et surveiller nos visites… Mais ce que j’aime dans cette exposition, c’est qu’elle est davantage une affirmation, une réaffirmation de la nature du nouvel espace privé postmoderne qu’une simple contestation des tentatives d’invasion de cet espace.

Le propos est soutenu dans les deux autres salles, qui ressemblent à l’album blanc des Beatles ou au vidéo Imagine de John Lennon et Yoko Ono. Tout y est en camaïeu de blancs (qui frôle peut-être un peu trop une ambiance de mode), avec quelques taches ici et là (la plupart d’un rouge qui rappelle le vin). Même les canapés blanc cassé de la galerie s’inscrivent dans l’esprit de l’expo, créant une atmosphère conviviale. Çà et là, des dessins faits avec encre, acrylique mais aussi vin, huile, sauce soya, figue et œuf (et qui nous parlent de repas et du bonheur d’être ensemble), eux aussi très blancs, nous disent l’espace privé comme une page blanche où tout ne serait pas déjà décidé.

À une époque où la famille est de moins en moins la référence, dans un monde occidental où les relations amoureuses ne durent pas très longtemps, le réseau d’amis est-il devenu le dernier refuge des sentiments d’appartenance et de liberté? Nos amis sont-ils les tribus postmodernes, les nouvelles smalas qui nous suivent partout à travers l’espace et le temps? Je le crois. Et cela, même si certains pourraient trouver dans ces propos une vision utopique, post-soixante-huitarde de nos rapports humains.

Jusqu’au 27 mars
À la Galerie Joyce Yahouda
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