Aude Moreau : Art déco
Quelle est votre palette de couleurs? Non, je ne parle pas de celle qui correspond à votre teint, mais de celle à laquelle s’associe votre groupe social. Aude Moreau nous convie à pénétrer dans l’univers coloré des Montréalais.
Nicolas Mavrikakis
Photo : Guy L'Heureux
Nos goûts nous semblent bien personnels. Et pourtant. La sociologie de l’art (avec Pierre Bourdieu comme paradigme) a montré comment nos préférences artistiques vont de pair avec notre niveau d’éducation et notre revenu, mais aussi comment, dans un groupe donné, certaines œuvres d’art sont une monnaie d’échange symbolique permettant à ses membres de se reconnaître. Même à travers nos choix de couleurs, nous faisons partie de notre époque et de notre culture occidentale. Un exemple: votre couleur préférée est certainement le bleu. Couleur honnie dans l’Antiquité (teinte que les barbares germains se mettaient sur le corps pour effrayer leurs adversaires), elle est devenue la dominante de la planète bleue. C’est ce que nous dit une étude menée depuis 1995 par les artistes russes Komar et Melamid (www.diacenter.org/km). Elle est la préférée de 44 % des États-Uniens, de 39 % des Français, mais de seulement 19 % des Chinois (où elle est talonnée par le vert, qui arrive à 14 %).
Au Québec, l’artiste Aude Moreau a, elle aussi, mené son enquête. Elle a lancé un appel aux Montréalais afin d’obtenir des fonds de pots de peinture ayant servi à décorer les murs de leur maison. Dans la Galerie B-312, Moreau a ainsi pu reconstituer la palette de couleurs des gens de notre ville. Une palette sans trop de surprises, mais qui crée un effet visuel presque merveilleux. Sa Topographie de la couleur résiduelle se présente comme une constellation de petites taches colorées réparties sur les murs, le plafond et le sol de la galerie. Au premier regard, cela ressemble à des étoiles colorées (identifiées par une petite légende indiquant leur provenance bien terrestre: chambre à coucher, couloir.). Comme Jean-Émile Verdier l’explique dans le texte de présentation, ces couleurs ne sont pas réparties au hasard, mais sont en fait placées comme si la galerie était une carte de Montréal et chacune de ces étoiles peintes, une maison avec ses couleurs intérieures.
Depuis quelques années, plusieurs peintres utilisent le sol comme support (Jim Lambie, Liam Gillick, Michael Lin.). Cela produit souvent des œuvres décoratives. Moreau arrive, elle, à donner à ce type d’intervention un contenu anthropologique pertinent.
Jusqu’au 20 mars
À la Galerie B-312
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