Christine David et Nell Tenhaaf : Gérer l’ingérable
Ces deux œuvres ne se ressemblent en rien, du moins, certainement pas au premier regard. Pourtant, elles mettent en relief, par le biais de la fiction, des aspects évocateurs de la réalité…
Tlön, ou comment j’eus entre les mains un vaste fragment méthodique de l’histoire totale d’une planète inconnue
de Christine Davis et Apte/Inapte. Un Survol de Nell Tenhaaf partent d’une fiction. La première artiste s’inspire de la nouvelle de Jorge Luis Borges intitulée Tlön, Uqbar, Orbis, Tertius, ce qui donne lieu à une œuvre méditative, voire hypnotique, tout à fait passive, tandis que celle de Tenhaaf est interactive. Alors que l’installation de Davis est cosmique et magique, celle de Tenhaaf est terre-à-terre, s’adressant directement au spectateur devenant sujet, lui posant une série de questions en rapport avec une mise en situation, auxquelles il doit répondre pour faire évaluer, en théorie, sa capacité d’adaptation et d’empathie à une intimité simulée. En revanche, ces deux œuvres soulignent notre acharnement à ordonner, à tenter de contrôler les choses pour mieux les comprendre, puis pour nous rassurer. Mais en vain, puisque la défaillance et le chaos ne sont jamais bien loin… Ainsi, ces productions enclenchent toutes deux une réflexion autour d’idées liées à des croyances sociales et culturelles nourries de désirs et de peurs, donc indissociables de la subjectivité et de l’irrationnel.
Comme le témoigne le paragraphe explicatif du musée, la nouvelle de Borges raconte l’histoire d’une société secrète qui s’acharne à régler, dans les moindres détails, tous les aspects de la vie sur la planète obscure de Tlön, étouffant ainsi d’autres formes légitimes d’expériences et de connaissances. Au moyen de deux projecteurs de diapositives, des images d’étoiles et de nuages interstellaires s’enchaînent en fondu sur un écran formé de centaines de papillons morpho, symboles de la transformation. Placés l’un à côté de l’autre de manière à former un rectangle parfait, les papillons s’en trouvent dénaturés, dans une position impossible, contraire à la vie, arrêtée. Paradoxalement, les images du ciel projetées nous ramènent justement là où devraient être les papillons, flottants et libres dans l’atmosphère…
UCBM (Serais-tu moi) de Tenhaaf combine, comme dans l’ensemble de sa pratique, la médecine, la technologie et l’art de façon à remettre en question, entre autres, l’idée que l’art est subjectif et la science, objective. Une installation audio-vidéo projette l’image de l’artiste tentant d’abord d’expliquer des concepts scientifiques sans vraiment y parvenir, pour poser ensuite des questions au spectateur soudain interpellé. Une seule alternative s’offre à lui, c’est-à-dire deux boutons, "y" pour yes et "n" pour no, afin de répondre aux questions tout à fait subjectives et de se faire classer comme empathique ou non, selon des critères obscurs. Et parfois, comme pour démontrer la faillibilité même de la technologie, l’image vidéo saute ou encore le son baisse jusqu’à devenir inaudible.
Enfin, à la croisée de la fiction et la réalité, l’art a donné rendez-vous à la science et à la littérature pour dévoiler notre manie de vouloir gérer l’ingérable, ce vieux rêve toujours et encore défectueux…
Jusqu’au 25 avril
Au Musée canadien de la photographie contemporaine
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