Des choses abjectes : Négation de l’abject
On ne s’accommode pas de l’abject. C’est pourquoi Axe Néo-7 présente une exposition offrant, malheureusement, la distance rêvée des cœurs sensibles.
À mon grand étonnement, aucune des 10 œuvres de l’exposition des choses abjectes n’a suscité en moi le sentiment profond de révulsion auquel je m’attendais… D’abord, chacune des œuvres se présente une à la fois, plusieurs contenues à l’intérieur de délimitations construites autour desquelles le spectateur circule en retrait. Au milieu de l’une des salles, un cube est divisé en six petits "cubicules". Le spectateur n’a pas l’obligation de pénétrer physiquement l’espace des artistes pour voir les œuvres, lui donnant ainsi une distance psychologique suffisante pour rester bien à l’aise, sapant la proximité nécessaire au sentiment d’abjection. Contenir les œuvres dans des boîtes ne témoignerait-il pas d’un refoulement du propos même de l’exposition? Bien que voulant évoquer le rebus, des boîtes de carton installées aux deux extrémités du cube renvoient plus à l’habitat précaire du sans-abri, me laissant perplexe quant au lien à l’abject… Certaines œuvres ne suscitent en rien les réactions escomptées compte tenu du contexte de présentation lui-même, notamment celle de Louis Cummins, qui ne s’avère abjecte que pour le regard de l’homophobe, une clientèle plutôt rare dans le milieu de l’art contemporain…
Cela dit, d’autres œuvres, plus assumées, questionnent ce qu’est l’abject. La vidéo Se dé-partir d’Andrée Préfontaine, par exemple, joue sur le réflexe d’expulsion du corps maternel, donc fondamentalement abject. Une femme ramasse son fœtus tombé dans la toilette, l’enveloppe dans du papier pour l’insérer dans son sac et repartir. L’acte de se plonger les mains dans la cuvette pour repêcher le corps mort peut sembler abject en soi, mais demeure à la limite compréhensible face au refus de la perte maternelle. Ouverte, l’œuvre de Préfontaine souligne l’ambiguïté et la subjectivité de l’abject, invite le spectateur à extrapoler sur la suite des événements, tourmenté entre la règle sociale ou religieuse et son propre sentiment d’empathie.
Alliant vidéo, diapositives, dessin, son et objets, le Projet HBJC de François Chalifour aborde l’abjection par le constat de nos modes de vie. Deux projecteurs de diapositives laissent défiler des portraits de Bush, Hussein, Sharon et Arafat en fondu. Un téléviseur nous ramène à l’origine du monde avec la pomme, référence à Adam et Ève chassés du paradis avec un arrière-goût de honte dans la bouche, nous transporte au saint Sébastien assailli de flèches, pour revenir dans l’actualité, c’est-à-dire aux deux tours du World Trade Center. Une citation de Bush retentit incessamment: "States like these and their terrorist allies constitute an axis of evil arming to threaten the peace of the world." Mais des silencieux rouillés empilés rappellent le motif même des interventions en Irak, témoignent de notre hypocrisie abjecte, de notre consommation excessive à tout prix et de l’indifférence face à la guerre que la poursuite de nos activités nécessite. Ainsi, de ce maillage d’éléments historiques, le fil d’Ariane aboutit finalement dans les mains du spectateur, rappelant que nous possédons tous un côté vil caché dans les tréfonds de notre archéologie sociale…
Jusqu’au 25 avril
À l’Axe Néo-7
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