Bertrand R. Pitt : Le maître des illusions
Arts visuels

Bertrand R. Pitt : Le maître des illusions

Bien sûr, l’art est illusion. Et il n’a pas fallu attendre les nouvelles technologies pour créer de merveilleux effets de réalisme! L’art comme trompe-l’œil est un vieux truc remontant à l’Antiquité grecque. BERTRAND R. PITT, lui, conjugue ces effets au présent…

Ces temps-ci, je vais de surprise en surprise. Plusieurs artistes dont le travail m’apparaissait en train de se répéter ou en perte de vitesse semblent s’être passé le mot et ont trouvé le moyen de se renouveler. C’est le cas de Marc Séguin avec son expo Les Démons au Musée des beaux-arts ainsi que de Martin Boisseau à la Galerie Graff. C’est aussi le cas de Bertrand R. Pitt. Après une installation vidéo, fin 2002, à la Galerie B-312, qui était bien trop simple, le voici de retour, à la Galerie Plein sud à Longueuil, avec une intervention pas nécessairement spectaculaire, mais bien astucieuse.

Ses Tumultes se présentent pourtant d’une manière banale, avec trois images vidéo sur trois murs différents. À sa gauche, en entrant, le spectateur voit celle d’un paysage avec un cours d’eau. La deuxième donne à voir une main qui écrit et puis qui froisse la page ainsi raturée. Finalement, une troisième montre des flammes. Mais quels sont les liens entre ces trois images? De simples oppositions eau/feu, matière palpable/matière impalpable, énergie brute de destruction/énergie canalisée de création? Un peu trop simple, tout ça. Le spectateur comprendra que cette exposition ne fonctionne pas uniquement sur le mode de la comparaison, mais plutôt sur les processus d’ajout et de substitution. Je m’explique.

Est-ce bien un bruit de flammes que nous entendons? Y a-t-il vraiment le bruit d’une rivière, ou est-ce mon cerveau qui en invente le son? Et sont-ce bien des flammes qui embrasent l’espace de cette projection? À regarder et à écouter plus attentivement, le spectateur s’apercevra de la supercherie: pas de son d’eau, pas de flammes, ni de crépitement de feu… Pitt joue à tromper nos sens. Les flammes sont en fait l’image d’un cours d’eau (comme dans la première image) en négatif et colorée en un très efficace camaïeu d’orangés. Les bruits de combustion ne sont que les bruits, légèrement remixés, de feuilles de papier froissées. Et quant au bruit d’eau que l’on croit entendre en voyant le paysage avec une rivière, il est le pur produit de l’imagination du spectateur qui, par esprit de logique, ne peut admettre que, dans une expo, deux images soient sonores et que la troisième ne le soit pas.

Le travail de Pitt me fait ici penser aux tableaux de l’Américain Mark Tansey (que nous avons eu l’occasion de voir à Montréal au Musée des beaux-arts il y a maintenant déjà 10 ans), et en particulier à sa peinture White on White (1986). Des Esquimaux et des Bédouins se rencontrent dans ce tableau où les coups de pinceau flous désignent à la fois une tempête de neige et une tempête de sable! Pourtant, cet art semble bien réaliste. Un même code visuel, un même coup de pinceau, pourrait donc désigner à la fois la neige et le sable? Il y aurait donc des homonymes visuels? Tansey avait montré cela avec merveille. Pitt arrive lui aussi à démontrer comment le sens des images et des sons que l’on perçoit dépend du contexte de présentation. Pour reprendre le titre d’un livre de Dany Laferrière, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit?

Jusqu’au 18 avril
Au Centre d’exposition Plein sud
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