Guy Cogeval et Dominique Païni : « Un Andy Warhol avant l'heure »
Arts visuels

Guy Cogeval et Dominique Païni : « Un Andy Warhol avant l’heure »

L’expo Cocteau présentée à Montréal, après avoir été montrée à Paris, renforce la place que notre Musée des beaux-arts (MBAM) a durement acquise depuis quelques années dans le réseau des musées occidentaux. Car, disons-le sans gêne, depuis quelque temps au Canada, il n’existe vraiment que deux musées d’envergure internationale, le MBA de Montréal et le MBA d’Ottawa. À ceux qui trouveraient que j’oublie la Art Gallery of Ontario de Toronto, je répondrais que cette institution est vraiment trop timide, conservatrice, dans ses choix d’expositions et dans son approche de l’histoire de l’art. Cet événement Cocteau, tout comme celui autour d’Hitchcock il y a trois ans, c’est aussi une manière de faire de grandes expositions pas seulement pour montrer des œuvres (une énième fois sur les impressionnistes ou, pour faire semblant d’innover, la céramique de Picasso), mais aussi pour effectuer une relecture de l’histoire de l’art.

Cocteau démaquillé
"Au départ, l’exposition Cocteau devait être montée à Montréal et pas à Paris", explique Guy Cogeval, directeur du Musée des beaux-arts. En effet, Guy Cogeval et Dominique Païni ont eu l’idée de ce projet il y a quelques années. Complices de longue date (ils se connaissent depuis plus de 20 ans et ont entre autres travaillé ensemble au Musée du Louvre), Cogeval et Païni ont réalisé l’exposition Hitchcock en 2000 au MBAM.

"Nous avions pensé monter une exposition sur Cocteau ou sur Fritz Lang", poursuit Cogeval. Cocteau allait bien sûr tout à fait dans l’esprit intellectuel du MBAM et de son directeur, qui souhaite présenter des expos montrant une "conjonction des différents arts". Ce dernier souligne comment il était pertinent que le Centre Beaubourg, qui a accueilli l’expo Hitchcock montée à Montréal, nous envoie cette expo Cocteau. Quelle lecture de celui-ci s’y élabore? "C’est un Cocteau dégraissé, débarrassé entre autres de ses mauvaises peintures, que montre cet événement." En entendant cela, on a presque l’image d’un Cocteau sans fard. Mais que cachait ce maquillage?

Cocteau-Duchamp-Warhol-Godard…
Dominique Païni, commissaire de l’événement, insiste: Cocteau est la vraie source d’inspiration de l’art contemporain. Pour lui, "les deux figures majeures de l’art conceptuel du 20e siècle sont Marcel Duchamp et Jean Cocteau". Rien de moins! Voilà ce qu’il expliquait en conférence la semaine dernière et qu’il me précise à nouveau en entrevue. "Cocteau a laissé une posture, une manière d’être dans la vitesse, d’être contemporain, plus que les surréalistes. Les surréalistes, c’est le 19e siècle qui persévère, c’est une insistance du symbolisme dans le 20e siècle. Je n’aime pas le surréalisme comme pensée unique. Les artistes roulés dans la boue par les surréalistes sont les plus actuels!" Et les surréalistes ne furent pas tendres envers Cocteau.

En conférence, Païni va même jusqu’à dire que cette expo sur Cocteau est "une première marche dans une remise en valeur d’artistes comme Péguy, Claudel, Bernanos…". Sur ce point, on peut avoir du mal à le suivre – je ne suis personnellement pas un amateur de Péguy et encore moins de Bernanos et de Claudel! Mais à propos de l’impact de Cocteau sur l’art actuel, Païni pointe des éléments qui méritent l’attention: "Cocteau est contemporain dans sa façon d’opérer entre les différentes formes d’art, mais aussi dans son mépris de l’œuvre unique. Il est conscient de l’importance de la reproductibilité de l’œuvre d’art. Il perd ses dessins ou les donne une fois qu’ils sont imprimés. Pour lui, par exemple, un journal, c’est de l’art." Il poursuit: "Il est un Andy Warhol avant l’heure. Cette célèbre phrase de Warhol, "Je veux être une machine", elle vient de Cocteau dans son livre Potomak."

Païni s’intéresse à l’impact de Cocteau sur d’autres artistes: "Jean-Luc Godard, dans tous ses films, fait des hommages à Cocteau. David Lynch, Kenneth Anger et Pedro Almodovar lui doivent aussi beaucoup. Le vidéo The Crossing de Bill Viola trouve sa source dans la scène du miroir du film Le Sang d’un poète."

Dans le parcours de l’exposition, le visiteur pourra d’ailleurs voir une démonstration de ces corrélations. Deux extraits, un du Testament d’Orphée de Cocteau et l’autre de King Lear de Godard, concluent cette relecture de Cocteau d’une manière impeccable.