Jean Cocteau, l’enfant terrible : Sans domicile fixe
Cocteau, vous connaissez? On croit le connaître, mais quelle œuvre a-t-il laissée au juste? Écrivain célèbre, cinéaste du féerique, dessinateur fabuleux… Mais encore? Que nous apprend l’exposition Jean Cocteau, l’enfant terrible du Musée des beaux-arts?
L’une des grandes qualités de cette expo est de montrer un Jean Cocteau jeune. La mémoire collective (elle est si dominante) a gardé de Cocteau l’image d’un vieil efféminé théâtral, pompeux comme on aimait l’être avant la guerre (la Seconde), figé dans un style empesé, très vieille France, académicien de surcroît, peintre kitsch épris de beautés académiques et de jeunes éphèbes…
Cocteau meurt en 1963, après plusieurs années de surexposition médiatique dans des événements comme le Festival de Cannes dont il fut le président en 1953, mondain de la presse, presque has been, cherchant les projecteurs des médias comme Norma Demond, la caméra dans Sunset Boulevard… Cocteau meurt vieux (certains pourraient dire trop tard, mais c’est faire peu de cas de films monumentaux comme La Belle et la Bête ou Le Testament d’Orphée), alors que depuis quelques années la Nouvelle Vague semble clamer la jeunesse comme qualité. Pourtant, Cocteau n’est pas loin de cette vague de liberté créatrice… C’est Truffaut qui encourage Cocteau (qu’il admire) à réaliser son Testament d’Orphée et qui lui prête l’argent pour le faire, celui qu’il a gagné avec son prix à Cannes pour Les 400 Coups… Mais dans nos sociétés, on aime les poètes fulgurants comme des étoiles filantes (Rimbaud, Radiguet, Nelligan…). Dans nos sociétés, on a bien du mépris pour les vieilles folles liftées (il le fut au moins à trois reprises). Picasso, vieillard (ventripotent et même, certains le murmurent, impuissant dans ses dernières années, regardant sa femme se faire baiser par son chauffeur…), était admiré pour sa collection de jeunes femmes (Jacqueline Rocque avait 42 ans de moins que lui!). Et la différence de jugement sur les deux hommes ne tient pas uniquement à une question de talent. On peut aimer les homos, mais à condition qu’ils soient jeunes. Les hommes, les vrais, eux, vieillissent bien mieux…
jeune homme sans visage
Donc, voici une expo qui dévoile un Cocteau jeune, qui vit à fond les années 10, 20 et 30, batteur de jazz (il signe le merveilleux Oil cacodylate de Picabia, présenté dans l’expo, du surnom de Jazz trap drummer), fumeur d’opium, dandy ambigu (il a eu au moins deux importantes aventures avec des femmes), créateur d’une revue dadaïste (Le Coq), dessinateur presque caricaturiste et bédéiste, être dangereux contre qui les surréalistes (homophobes pour la plupart) étaient en guerre, être hanté par la mort, celle de son père, de ses amours et de ses amants. Un Cocteau pour qui la création est un pansement. Un Cocteau qui doute et qui se croit incapable de continuer à créer sans Radiguet, mort en 1924. Un Cocteau qui dans ses dessins se montre sans visage, en train de disparaître. On est bien loin du masque apprêté qu’il exhibera plus vieux publiquement. C’est d’ailleurs un des points les plus intéressants que met en valeur le commissaire Dominique Païni. Un Cocteau avant la lettre. Un Cocteau sans identité fixe. Un Cocteau qui s’expose (dans des dessins ou des photos) sans visage ou se cachant la face, comme s’il avait un trou à la place de ses traits.
On aurait pu souhaiter que l’une des thèses de cette expo, l’impact de Cocteau sur l’art actuel, soit développée davantage – après tout, c’était l’une des idées de base de cette entreprise (voir entrevue avec Dominique Païni). Par ailleurs, certains auraient sans doute apprécié que l’expo réserve une plus grande place à la question de l’homosexualité dans la société française de son époque et dans la création de Cocteau en particulier. On peut certes lui reprocher de telles choses, mais cette présentation permet avant tout de réévaluer la place d’un grand témoin et acteur de premier plan de la scène artistique du 20e siècle.
Jusqu’au 29 août
Au Musée des beaux-arts