Alain Paiement. Le Monde en chantier : Si près, si loin
On ne se lasse pas des photographies d’ALAIN PAIEMENT. Des photosculptures des années 80 jusqu’aux collages numériques récents, ces œuvres parlent de l’espace et de la façon dont on l’occupe.
"Je ne prends pas les images, je les construis" expliquait Alain Paiement dans le catalogue publié lors de la présentation du Monde en chantier à la Galerie de l’UQAM. L’exposition que l’institution de la Grande Allée lui consacre arrive à point nommé pour l’artiste montréalais. Alain Paiement expose en effet depuis 20 ans et a à peine 44 ans. Le Monde en chantier contribue ainsi à la reconnaissance de l’importance de son travail. La conservatrice de l’art contemporain, Anne-Marie Ninacs, présente au Musée national des beaux-arts du Québec deux "pièces clés" du parcours de Paiement: L’Amphithéâtre Bachelard de 1988, une superbe sphère – qui occupe parfaitement la rotonde -, une œuvre inaugurale à l’origine de l’autre œuvre, et une série de montages photographiques, ces fameuses photosculptures qui l’ont fait connaître à la fin des années 80. Depuis, se sont succédé une centaine d’expositions. Les pièces récentes, deux montages photographiques monumentaux, sont un autre moment fort de sa production. Voilà qui permet d’apprécier toute l’envergure de l’approche d’Alain Paiement.
Il livre une topographie minutieuse de son appartement, en montre à la fois l’intérieur et l’extérieur simultanément. Il parcourt toutes les pièces du logement. Placée en parallèle au-dessus du sol, la caméra de Paiement ne manque rien. Il faut scruter chaque détail de ces grandes impressions numériques où sont révélées des incongruités (faut voir le chat!) qui font sourire et chercher dans l’image d’autres hétérogénéités. Ce qui peut sembler simple au départ – photographier le sol vu du ciel – s’avèrera en définitive plus complexe… Paiement a aussi "topographié" la boulangerie au-dessous de son appartement. Là encore est appliqué le même principe: un balayage de l’endroit vu d’en haut. "Il y a un continuum entre l’intérieur et l’extérieur, explique l’artiste. Pas d’autorité d’un lieu par rapport à un autre." Rien n’échappe à sa caméra. Rien n’est dissimulé. Les plans s’entrechoquent; les objets reviennent étrangement à la surface. Tout l’effet est dans la prise de vue. On est devant une "reconstitution d’informations", un "fouillis visuel". Tout cela jongle avec le problème de l’unité de lieu et de temps propre à la représentation, à la peinture, comme au problème de la remise en question du point de vue "objectal".
Toute cette production parle des lieux, des espaces, mais ce ne sont jamais des photographies d’architecture. Il s’agit davantage de la "photographie comme architecture". Chez Alain Paiement, tout est réfléchi, calculé, pensé… Ces œuvres sont, pourrait-on dire, savantes, mais pas du tout austères pour autant. Et c’est là toute leur force: elles sont à la fois concept et poésie. C’est rare. En fait, elles se donnent sans détour grâce à leurs grandes qualités plastiques. Comme l’écrit Anne-Marie Ninacs: "Après toutes ces heures passées à la fréquenter, sa production m’apparaît toujours plus puissante d’intelligence, de beauté et de sens cachés…"
Depuis le début de sa production, et peut-être davantage dans ces œuvres récentes, Alain Paiement nous invite à penser la façon dont on habite, à penser notre position dans le monde. On se surprend à faire l’exercice mentalement, à laisser voyager notre pensée d’un lieu à un autre, à faire une topographie mentale de notre espace. On ne s’étonnera pas que les photographies d’Alain Paiement dialoguent à merveille avec les propos de Georges Perec tirés d’Espèces d’espaces: "De temps en temps, pourtant, on devrait se demander où on (en) est; faire le point; pas seulement sur ses états d’âme, sa petite santé, ses ambitions, ses croyances et ses raisons d’être, mais sur sa seule position topographique, et non pas tellement par rapport aux axes cités plus haut, mais plutôt par rapport à un lieu ou à un être auquel on pense, ou auquel ainsi on se mettra à penser." Difficile de dire mieux…
Jusqu’au 26 septembre
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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