Garry Neill Kennedy : Le bon vieux temps des colonies
Arts visuels

Garry Neill Kennedy : Le bon vieux temps des colonies

L’artiste canadien GARRY NEILL KENNEDY, lauréat du Prix du Gouverneur général 2004 en arts visuels, est de passage à la Galerie Articule. Peinture murale décapante.

Voici une exposition qui est bien d’actualité. Alors qu’au Canada et aux États-Unis les citoyens vont bientôt aller voter, l’artiste Garry Neill Kennedy nous rappelle l’un des principes du monde politique. Le titre de sa présentation (qui reprend une expression américaine) est très pertinent: "You Scratch My Back and I’ll Scratch Yours in the Colonial Room". Je ne sais s’il y a une salle coloniale au 24 Sussex ou à la Maison-Blanche, mais l’histoire politique (ancienne et récente) nous a appris que les retours d’ascenseur et autres types de patronages ne manquent pas de s’y faire…

Pour cette expo presque conceptuelle et dont le titre joue un rôle primordial, Garry Neill Kennedy a décidé d’élargir son regard critique sur un sujet d’une grande pertinence, celui du colonialisme et du post-colonialisme. Sur les murs de la galerie est peint le titre de l’exposition avec des couleurs portant toutes le qualificatif colonial: Bleu colonial de Benjamin Moore, Rose colonial de C.I.L., Ivoire colonial de Color Your World… Une palette bien surprenante. Mais pourquoi donc des fabricants de peinture ont-ils ainsi nommé leurs couleurs? Le public est-il vraiment intéressé à recréer dans son appartement l’atmosphère des colonies? Un petit noir de plâtre avec ça ou bien un tigre de porcelaine!? Kennedy poursuit ici une série d’interventions portant sur les noms des couleurs vendues pour décorer nos maisons. Il avait ainsi dressé en 1992 un panorama des couleurs liées par l’imaginaire au Moyen-Orient (Arabian Night, Persian Gulf…), et en 1996, la palette des couleurs portant une référence au paysage américain (Kentucky Blue Grass, Oregon Rose…)

Pour son intervention à la Galerie Articule, Kennedy, qui a utilisé les vraies couleurs proposées par ces compagnies, nous offre donc une palette coloniale bien étrange, toute douce, tranquille comme un bateau poussé sur le Nil par des rameurs habillés de vêtements blanc écru. Que le goût des colonies était raffiné! Blancs (cassé ou d’argent), jaunes (paille), rouges (brique), mais pas de noirs (trop vulgaires?), se rencontrent dans cet espace colonial. Quel exotisme! Que les colonies savaient bien allier les couleurs avec subtilité!

Mais pourquoi parler de cela maintenant? De nos jours le colonialisme n’est-il pas bel et bien disparu? Pas sûr… L’homme blanc occidental n’a plus besoin d’aller coloniser le reste de la planète et de se salir les mains, il a maintenant les multinationales pour exploiter les pays du tiers-monde. Et leurs gouvernements ferment souvent les yeux sur les conditions de travail de leurs citoyens.

Je dois dire toute ma considération pour le travail de Garry Neill Kennedy. En 2000, j’avais eu l’occasion de voir au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa la rétrospective de son oeuvre qui montrait une démarche forte sur presque 40 ans. Humour et profondeur intellectuelle savent s’allier dans son travail. Une création qui sait prendre position politiquement avec une intensité digne de Hans Haacke. Dans une époque où les artistes sont souvent inspirés par la superficialité du monde de la mode, saperlipopette, on en redemande!

Jusqu’au 20 juin
À la Galerie Articule
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