« Nous venons en paix… » : Je me souviens
Arts visuels

« Nous venons en paix… » : Je me souviens

Sommes-nous amnésiques? Une exposition au Musée d’art contemporain nous montre comment l’art actuel renoue avec la notion d’histoire, celle des Amériques.

"Nous venons en paix…". Combien de fois cette phrase a-t-elle été prononcée aux quatre coins de la planète par des explorateurs débarquant en de nouvelles contrées? Même sur la Lune, les astronautes d’Apollo XI ont laissé, en 1969, cette phrase inscrite sur une plaque commémorative adressée à la postérité ou à des extraterrestres de passage… Pourtant, cette paix promise ne fut que rarement respectée. Les nouveaux venus se sont presque toujours lancés dans la colonisation, puis dans l’exploitation, l’acculturation, voire l’extermination (lente ou rapide) des indigènes… C’est, entre autres, l’histoire des Amériques. Histoire pas toujours reluisante, remplie d’événements que la mémoire collective préférerait oublier. Mais justement, les Amériques sont-elles amnésiques? Dans une province où la devise est "Je me souviens" (de quoi au fait?!?), la question ne manque pas d’intérêt.

Voilà pourquoi l’exposition "Nous venons en paix… ", Histoire des Amériques, réalisée par le conservateur Pierre Landry, est d’une grande pertinence. Elle pointe une question essentielle: comment les artistes actuels arrivent-ils à parler de ces récits refoulés qui constituent l’identité des Amériques? Jusqu’au 19e siècle, la peinture d’histoire (commandée par les gouvernements) permettait d’utiliser certains événements historiques pour créer une identité nationale. Mais à une époque où la peinture d’histoire est morte, comment l’art peut-il encore aller de pair avec l’histoire?

Les hommes derrière l’image
Parmi les pièces présentées, celle de l’artiste québécoise Raphaëlle de Groot est exemplaire quant à ce questionnement sur la mémoire. Dans des livres d’histoire pour écoles primaires des années 50, de Groot est allée voir comment était représentée visuellement notre histoire. Sur un mur, le visiteur pourra voir, tirées de ces ouvrages, des images très clichées: Indiens presque nus mais, tels des oiseaux exotiques, toujours couverts d’au moins une plume; colons armés, pointant des terres à découvrir ou un avenir prometteur… Dans son texte de présentation, de Groot parle à juste titre de cette histoire qu’elle connaît "à la fois trop bien et très mal". Elle ajoute: "Je me perçois comme une des dépositaires et héritières d’une identité friable qui échoue en moi comme une impasse." Elle n’est pas la seule à se sentir ainsi… Au centre de la pièce, symbole de cette mémoire friable, de Groot a placé une table couverte de pâte de sel, matière un peu difforme faisant penser à des miches de pain pas encore cuites…

L’installation vidéo de Ruben Ortiz-Torrez et Jim Mendiola est aussi très pertinente. Elle traite de la célèbre bataille d’Alamo (perdue en 1836 par les Américains au profit des Mexicains) où fut tué le célèbre Davy Crockett ("héros" qui n’avait pas hésité à aller exterminer des Indiens dans les années 1810). Mais ici, cette bataille est ramenée à un vidéoclip avec images de touristes et voix off de Pee-wee Herman nous disant ne plus se souvenir de grand-chose… À l’entrée de la salle, une statue grandeur nature d’Ozzy Osbourne pisse sur un mur, tout comme le musicien l’a réellement fait sur le lieu historique d’Alamo en 1980! Et il faudrait aussi parler des autres œuvres, dont celle de Cristián Silva: une maquette du Stade national de Santiago, au Chili, où se réunissent "tous les week-ends des supporters de soccer" mais qui en 1973 a été "réquisitionné par l’armée pour servir de prison et de camp de torture"…

Toutes les œuvres exposées n’ont pas la même force, mais voici une exposition qui a le grand mérite d’allier des pièces de qualité à un propos intelligent. C’est un phénomène assez rare. Bien souvent, les expositions noient les œuvres dans un propos qui les dépasse et les englobe malgré elles (je pense notamment à cette photo d’un arbre présentée par Geneviève Cadieux lors de la Biennale de Montréal en 2002 et qui se trouvait fort appauvrie par le thème du Temps qui chapeautait l’événement). Il faut saluer le travail de Pierre Landry qui a su voir dans la production de plusieurs artistes panaméricains un important thème récurrent.

Jusqu’au 5 septembre
Au Musée d’art contemporain
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