L’Autre et l’Ailleurs de Charles Cordier : Carrière de marbre
L’œuvre ethnographique de Charles Cordier (1827-1905) se décline en de multiples portraits naturalistes et autres polychromes aussi fascinants que bizarres. Le goût des matériaux.
Destinés au XIXe siècle à documenter le Muséum national d’histoire naturelle de Paris (devenu aujourd’hui le Musée de l’Homme), les bustes et statues de Charles Cordier font une halte au Musée national des beaux-arts du Québec. Quatre-vingts sculptures, disposées dans les salles épurées, révèlent les effets de ce virtuose du matériau et de l’observation. "Un superbe Soudanais paraît dans mon atelier. En quinze jours, je fis ce buste", écrit Cordier. Cette rencontre du modèle noir, Saïd Abdallah, en 1848, sera pour l’artiste français la source d’un intérêt jamais démenti pour l’étude des humains, afin de "répertorier les populations de la terre" – les "différentes races", comme on disait à cette époque de l’ethnologie naissante. Exemplaire des rapports entre la science et l’art, l’œuvre de Cordier est un sujet de choix pour les historiens de l’art qui fouillent manifestement en marge des grands noms (Charles Cordier n’a pas le sien dans le dictionnaire!). L’œuvre de Cordier témoigne de la volonté des artistes du XIXe de renouveler les sujets académiques. Elle réveille aussi certaines polémiques qui lui sont contemporaines. La principale concerne la polychromie en sculpture, résultant de la découverte de couleurs sur l’architecture et la statuaire antiques, qu’on avait crues jusqu’alors immaculées. Le camp choisi par Cordier sera clair.
Hors de toutes velléités de remise en cause des formes établies, reste qu’un bon sculpteur est un bon sculpteur. Réalisées auprès de modèles noirs, arabes et asiatiques, les sculptures de Cordier destinées à l’ethnologie sont sobres et troublantes de véracité. Elles sont doublées d’une production polychrome davantage fantaisiste. On ne s’étonnera pas que cette dernière ait été contestée par ses contemporains: des bronzes, des marbres noirs, des onyx d’Algérie – où il finira d’ailleurs ses jours -, des rouges, des marbres blancs peints, des patines dorées, argentées, voire des bijoux et des pierres assemblées. Ce travail sur les matériaux n’a rien de banal. "La polychromie introduisait une esthétique du désordre", lit-on sous la plume d’Édouard Papet, conservateur au Musée d’Orsay. Un art faste donc. Même un peu pompier. Assurément bourgeois. Si Cordier avait ses détracteurs, il avait aussi ses défenseurs et une clientèle de marque, dont la reine Victoria et la riche bourgeoisie britannique.
Ses sculptures témoignent de nouvelles conceptions de l’autre et de l’ailleurs. C’est le siècle des découvertes de Darwin sur l’évolution de l’espèce, celui de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises (d’abord aboli pendant la Révolution française de 1789, puis rétabli par Napoléon jusqu’en 1848). Ces sculptures montrent également que la "beauté" n’est pas qu’européenne. "Ce buste au naturalisme affirmé plaçait un Africain sur un pied d’égalité avec les autres portraits présentés au même Salon", lit-on dans le catalogue. La vision sans hiérarchie de Cordier lui permet, au fil de ses rencontres, d’introduire des sujets inhabituels, à l’instar des artistes orientalistes, grands voyageurs à la recherche d’exotisme… Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette production. À voir et à lire: le catalogue sur l’œuvre de Cordier. Le Musée national des beaux-arts du Québec a préparé cette dernière exposition en collaboration avec le Musée d’Orsay. L’Autre et l’Ailleurs voyagera jusqu’à New York au Dahesh Museum of Art en octobre.
Jusqu’au 6 septembre
Au Musée national des beaux-arts du Québec
Voir calendrier Arts visuels
Bloc-notes
Chez Rouje
Trois productions occupent les cimaises de la Galerie Rouje pour quelques jours encore: la peinture de lumière d’Annie Bergeron, le travail de la matière de Julie Saint-Amand et la recherche de couleur de Denis Couture, dont une grande toile bleue impeccable. L’exposition remporte un certain succès. Allez-y, pour la peinture. Jusqu’au 20 juin.