Patrick Coutu : Voix rapides
L’important galeriste René Blouin ouvre ses portes à l’artiste PATRICK COUTU. Une expo faite de pièces de ciment, mais pas nécessairement béton.
Patrick Coutu a le vent dans les voiles. En 2001, l’artiste renommé et commissaire à ses heures Serge Murphy l’invite à faire partie d’une expo au côté de Charles Guilbert à la Galerie B-312. En 2002, le Musée du Québec lui ouvre ses portes pour montrer ses œuvres, dont sa merveilleuse pièce installative La moderne (présentée à Montréal en 99 au Centre Saidye Bronfman) qui avait été acquise l’année précédente par le même musée. Cette année, il fait partie de la (très moyenne) Biennale nationale de sculpture contemporaine, qui s’achève en fin de semaine à Trois-Rivières. Et voici que l’important galeriste René Blouin lui offre son espace pour pouvoir y montrer son exposition de maîtrise. Beau parcours, non?
Mais où en est sa réflexion plastique depuis qu’il nous a présenté La moderne (œuvre que je résumerais rapidement en disant qu’elle est une immense cabane de bois remplie, comme l’inconscient, d’éléments hétéroclites) ou bien ses frises photographiques, collage poétique, composées d’un patchwork d’images hétérogènes à la galerie B-312? Coutu continue sa réflexion sur l’assemblage, sur l’ajout, sur la stratification, sur le fonctionnement de la mémoire et du temps par couches plus ou moins perméables. Je m’explique…
Chez Blouin, Coutu propose deux types d’œuvres qui au premier coup d’œil semblent très éloignées. La plus imposante est cette grande maquette d’une ville industrielle. Elle est composée, comme un jeu de Lego, de petites pièces ajoutées les unes aux autres. Celles-ci ne sont pas ici faites en plastique, mais sont fabriquées en ciment par l’artiste lui-même. Dans cette maquette, Coutu expose froidement les aberrations de l’urbanisme moderne (dont notre époque post-moderne est encore l’héritière). Dans ce modèle de ville, des immeubles et des usines côtoient des autoroutes avec leurs échangeurs monumentaux…. Cette maquette pourrait être celle de bien des cités de la planète. À Montréal, l’échangeur des Pins, les autoroutes Métropolitain ou Décarie ne sont pas très loin de ce modèle. Ces exemples d’urbanisme représentent certes une belle idée: placer l’autoroute ou des voies rapides proches des citoyens pour que ceux-ci puissent entrer et sortir plus vite de la ville. Une manière de faire aussi circuler plus facilement les produits commerciaux. Mais dans ces projets, on n’a guère pensé aux habitants collés sur ces artères bruyantes ou aux piétons… Entre le monde des idées et le réel, il y a une distance que certains (dont les urbanistes) ne semblent pas comprendre. Coutu parle de cela. Il montre le tissu urbain comme un assemblage étonnant de lieux hétéroclites juxtaposés d’une façon peu organique. Même si l’esthétique post-industrielle et la critique qu’elle porte ont déjà été bien utilisées et par beaucoup, le propos valait néanmoins d’être redémontré.
Tout à côté de cette maquette, Coutu présente une série de sculptures qui elles aussi interrogent la notion d’accumulation. Ces œuvres sont tirées de la même série que celles que l’on peut voir à la Biennale de Trois-Rivières. Intitulées Flèches, ces pièces sont comme d’étranges stalagmites, composées lentement par l’artiste grâce à un dispositif d’entonnoir qui goutte à goutte a laissé tomber un peu plus de ciment et de silice… Des structures qui au bout du compte sont très fragiles. L’une d’entre elles fut d’ailleurs cassée à Trois-Rivières. Dans ces Flèches, deux temporalités se rencontrent. L’immensité sourde et impassible du temps des concrétions stalagmitiques rencontre l’intensité saisissante du moment de l’événement, de l’accident qui pourrait les briser. Là encore, un sentiment de déjà vu limite un peu notre plaisir et cela même si le propos ne manque pas d’intérêt.
Une expo où le ciment ne prend pas totalement, mais qui, parions-le, est certainement une charnière, un moment de reformulation, pour un artiste important.
Jusqu’au 18 septembre
À la Galerie René Blouin
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