Frottements. Objets et surfaces sonores : Se faire tirer l’oreille
Avec l’exposition Frottements, le Musée national teste autant ses propres limites que l’ouverture d’esprit du public. L’art de faire du bruit…
Les artistes sont nombreux à intégrer le son dans leur pratique depuis les années 1960. Au Canada et partout dans le monde. Cela fait partie des "nouvelles tendances mondiales en art", comme le souligne le communiqué. À Québec, Avatar a su sensibiliser son public à différentes formes d’art sonore, souvent à des explorations des plus incongrues. C’est d’ailleurs pour donner à "voir" des œuvres qui sont moins accessibles au public, davantage diffusées dans les centres d’artistes et les lieux spécialisés, que le Musée a invité la commissaire Nicole Gingras à réaliser ce projet. Auteure d’un ouvrage paru chez Artextes en 2003, Le Son dans l’art contemporain canadien, familière depuis de nombreuses années avec cette préoccupation des artistes, Nicole Gingras a réuni des œuvres qui veulent "donner au son un statut aussi important que celui accordé à l’image". C’est dans les cellules de l’ancienne Prison de Québec – un des lieux les plus austères du musée – que les six œuvres sont présentées, chacune occupant une cellule. Rober Racine a capté le son de crayons sur du papier, illustrant le fait que différentes personnes signent avec différentes cadences et intensités. Daniel Olson et Diana Burgoyne puisent aussi dans le quotidien leurs sources sonores. C’est le son des vagues, du vent et d’un chant religieux qu’a repris Jocelyn Robert, terrifié devant l’histoire du lieu, voulant ainsi évoquer un rêve possible d’un ancien prisonnier, probablement un marin ou un cultivateur. Son histoire convainc.
La plupart des propositions sont conceptuellement recherchées et trouvent leur origine dans des activités simples (c’est là qu’elles se rapprochent le plus de la culture des arts visuels): "écrire, dessiner, animer des objets, se déplacer dans une pièce, se frotter les pieds sur un plancher, écouter un disque, attendre une tempête", écrit la commissaire dans le "coffret-catalogue-CD" (la publication est impeccable et l’enregistrement l’est tout autant). Ouvre exemplaire de l’esprit de cette exposition: Daniel Olson diffuse dans une cellule un disque qui saute et qu’on entend en boucle. Il le dira lui-même: "Comme beaucoup de mes projets, presque rien ne se passe. Mais ce sont des choses intéressantes." Erika Lincoln propose une des pièces les plus ludiques où le public est invité à dessiner sur de grands papiers auxquels est rattaché un dispositif sonore qui permet de constater que le plomb est conducteur. Jean-Pierre Gauthier donne à voir une installation qui tire ses effets sonores d’assemblages cinétiques faits d’objets quotidiens, de fils, de petits moteurs… Quant à l’installation Un Cylindre (1994) de Raymond Gervais, elle évoque des sons imaginaires dans un silence total par la seule photographie d’un cyclone et la présence d’un gramophone.
Malgré les meilleures prédispositions physiques et intellectuelles, tout cela peut toutefois agacer. Certainement, le musée fait ici preuve d’ouverture et nous sensibilise. Cette exposition permet ainsi de préciser certains de nos préjugés. En fait, quand on pense à l’art sonore, on a l’impression que le champ des arts visuels est un vaste centre d’accueil pour tous les artistes marginaux sans domicile fixe de ce monde. Trop expéditif? Probablement. Surtout, cette exposition donne envie de se replonger dans le futurisme italien et d’aller interroger les artistes qui, dès le début du XXe siècle, ont inventé le "bruitisme", exaltés qu’ils étaient par la révolution industrielle. Dans Le Bruit et son rapport historique, J. M. Vivenza cite le Manifeste de l’art des bruits, publié à Milan en 1913: "Notre sensibilité rassasiée des harmonies des grands maîtres demande de nouvelles expériences: les bruits qui nous sont familiers et qui nous rappellent à la vie, entonnés et combinés entre eux, pourront réaliser de véritables symphonies radicalement nouvelles. Les moteurs de nos villes industrielles pourront dans quelques années être savamment entonnés de manière à former de chaque usine un enivrant orchestre de bruits." Certes, on ne parle plus de bruitisme aujourd’hui, mais d’art sonore. C’est plus chic et toute connotation politique semble évacuée, Histoire oblige. D’ailleurs, les œuvres rassemblées au Musée invitent à des expériences individuelles (on est seul dans une cellule!). Ce sont des produits de démarches intimistes. Mais rendons à César ce qui appartient à César: non seulement cette exposition fait couler l’encre allègrement, mais la fréquentation des œuvres atteint son but. On réalise à quel point le son fait partie du quotidien. Que nous sommes surstimulés. Et cetera. Puis ensuite, c’est d’une autre oreille que s’écoutent la musique et le chant des oiseaux… À venir, après la prestation de Martin Thétrault lors de l’inauguration, celle de Skoltz-Kolgen le 17 septembre.
Jusqu’au 28 novembre
Au Musée national des beaux-arts du Québec
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