René Donais : Femme à barbe
Le graveur René Donais signe une expo touffue. À travers l’histoire d’une femme hirsute, il nous parle du rapport à l’autre, de l’étrangeté, de la science…
J’ai toujours été surpris par le fait que le public aime davantage voir de la violence au cinéma ou à la télé qu’en arts visuels. Films d’horreur ou fantastiques et séries télé à forte teneur en hémoglobine ou en monstres effrayants ne soulèvent jamais autant de protestations que l’art contemporain, qui parle de douleurs physiques ou d’angoisses psychologiques. Si auprès du public, une exposition comme La Morgue d’Andres Serrano (présentée il y a quelques années au Musée d’art contemporain) passe moins bien que la série Six Feet Under, c’est certes parce que la première nous montre de vrais cadavres, alors que la deuxième ne nous exhibe que des acteurs maquillés jouant aux morts. Mais même si Serrano avait utilisé des acteurs, l’art est toujours ressenti comme un (dur) écho du réel, alors que le cinéma et la télé grand public sont perçus comme présentant des fictions distrayantes qui finissent malgré tout assez bien (même la mort s’y révèle souvent comme une leçon pour tous). Pourtant, l’art nous pose des questions primordiales.
Ainsi, avant de pousser des cris de dégoût ou de faire des moues de mépris en apprenant le sujet de l’exposition que je vais aborder, écoutons la leçon qu’elle recèle. À la Galerie Clark, René Donais nous montre des images rebutantes, mais qui discutent d’un sujet d’une grande importance. Il a créé une série de gravures s’inspirant d’une femme hirsute ayant vraiment existé. Barbara Ulserin est bel et bien née à Augsbourg en Allemagne en 1633 et fut toute sa vie exhibée comme un animal étrange à travers toute l’Europe, "de Copenhague à Rome en passant par Londres". Donais se sert de cette histoire pour élaborer une série intitulée Examen anthropogynécobuccal de Barbara Ulserin, qui montre cette femme soumise à des mains inconnues qui la tripotent de partout et qui ouvrent toutes ses cavités sans la moindre gêne.
Voici un sujet qui nous confronte à ce que se permet la science au nom du savoir. L’exposition nous parle des excès des scientifiques, et pas seulement dans la science ancienne. De ceux de l’histoire des femmes, remplie d’épidodes d’horreur de ce genre, alors que toute forme de différence ou de révolte contre l’autorité du père ou du mari était souvent perçue comme l’expression d’une maladie mentale ou physique. Il n’y a pas si longtemps, jusqu’aux années 60, des médecins pratiquaient aussi des lobotomies et des électrochocs sur des homosexuels. Pensons encore à certains traitements par médicaments, comme celui par la thalidomide qui, dans les années 50, a créé des enfants difformes…
Cette expo nous confronte aussi au rapport que nos sociétés occidentales entretiennent avec le poil. Épilations presque totales pour les femmes comme pour les hommes nous disent un monde où domine l’esthétique totalement glabre des statues classiques, après des années 60 et 70 au bel hirsutisme. Le poil avait alors une valeur de contestation sociale et politique. De nos jours, il se fait discret. Mais qui a peur du poil?
Jusqu’au 2 octobre
À la Galerie Clark
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